Interview Jean-Michel Calvez
Jean-Michel Calvez, auteur aux multiples facettes mais surtout connu pour ses romans de science-fiction et notamment pour le très remarqué
STYx publié l'année dernière aux édition Glyphe, a accepté de nous accorder un petit entretien pour nous parler de son travail, de ses romans et aussi nous apporter quelques éclaircissements scientifiques passionnants. Nous reviendrons donc pour cela principalement sur ces deux derniers ouvrages parus, les excellents
STYx et
Le Miroir du temps.
Bonjour Jean-Michel Calvez et tout d'abord, un grand merci d'avoir accepté de nous accorder cette interview.
Vous avez publié l'année dernière votre roman
STYx aux éditions Glyphe et très récemment
Le Miroir du temps à l'Atelier de Presse, mais vous êtes aussi connu notamment pour la Planète des vents, roman de SF publié chez Fleuve Noir. Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ?
Je suis né en 1961, à Landerneau (Finistère). Après un bac C, j'ai fait des études "scientifiques" : Maths sup et Maths spé puis une école d'ingénieurs à Brest, sans conviction très affirmée ; je me sentais plutôt un littéraire dans l'âme, ce que l'avenir n'a pas démenti. J'ai commencé ma vie active par un chantier de constructions navales, à Brest, avant de quitter la Bretagne pour Paris, un bureau d'études, toujours en constructions navales.
Adolescent, mon premier contact avec la SF fut la collection "Histoires de..." du Livre de poche, je l'ai dévorée tout entière puis, ayant découvert par ce moyen quantité d'auteurs anglo-saxons "classiques", j'ai retrouvé ceux qui m'attiraient via leurs romans : Théodore Sturgeon était mon favori, puis Arthur C.Clarke. A la même époque, j'ai aussi découvert la SF francophone avec J.P. Andrevon, par exemple, dont certains romans m'ont marqué, pour son écriture souvent travaillée et brillante. J'apprécie aussi le roman historique ou littéraire, mais un peu moins le policier.
J'ai commencé vers 1985/90 à écrire quelques textes très courts, entre SF et fantastique. Un ou deux été publiés en fanzine, de ci de là, puis ce fut le choc du cycle d'Hypérion / Endymion de Dan Simmons, en 1992 : un éblouissement pour sa culture et son style tout autant que pour l'histoire par elle-même. Ça m'a donné envie, vraiment, de faire en SF "quelque chose" de plus abouti et de plus développé que du texte court. Ce fut l'impulsion pour écrire Planète des vents, un roman assez long (pour un premier !) qui m'a pris un an environ. Mais il m'a fallu bien plus de temps pour le publier, je découvrais la difficulté de la quête éditoriale et j'avais donc sollicité un à un les éditeurs de SF, attendant une réponse (négative...!) avant de cocher le nom sur ma liste et poursuivre les recherches. Et c'est le Fleuve Noir qui l'a accepté, en 1996 ; un vrai coup de chance car le Fleuve Noir recevait environ 400 à 500 manuscrits par an dans chaque collection de SF, pour deux nouveaux auteurs maximum à l'année et par collection. Après deux romans au Fleuve, tout est soudain devenu très difficile pour les auteurs, à cause de la fin scandaleuse du Fleuve noir au format poche, assassiné par la logique de grands groupes industriels sans foi ni loi. Ce qui m'a coupé l'herbe sous les pieds mais, conduit, malgré tout, à multiplier les manuscrits, afin de multiplier mes chances - ça n'a hélas strictement servi à rien, à cette époque - et à tenter aussi d'autres genres ou styles : roman noir ou d'aventures, nouvelles de fantastique. J'ai donc continué à écrire de la SF, mais me suis aussi remis à écrire de la nouvelle et j'ai publié quelques textes dans des anthologies thématiques. Par exemple chez NestiveQnen, au Fleuve Noir ou dans Ténèbres (merci à Daniel Conrad !), l'anthologie étant un support intéressant pour exister en tant qu'auteur, pendant cette période.
Le Miroir du temps et surtout
STYx sont deux romans assez pessimistes et critiques vis-vis du comportement humain et de notre société, je pense notamment à la forte critique du colonialisme présente dans
STYx. Pouvez-nous parler un peu de cela et du fort engagement que l'on croit percevoir dans votre écriture aussi bien que de l'amertume qui semble percer chez vous face à au sentiment de toute-puissance de l'homme ?
En effet, ces deux romans sont plutôt sombres,
STYx en particulier ; le second, dans une moindre mesure et surtout dans son final, se limitant pour l'essentiel à illustrer la leçon de l'apprenti sorcier avide de pouvoirs, qui "joue avec le feu" sans le maîtriser.
STYx porte un regard sans complaisance sur l'homme, ses perversions et ses trahisons envers lui-même (par la discrimination et le mépris de l'autre). Par leur ton et leur final, ces romans sont en nette rupture vis-à-vis de Planète des vents, par exemple, qui était un roman d'aventure et de découvertes (de sense of wonder, diraient les fans de SF). Il est vrai qu'à travers ces romans, les thématiques sont autant de comptes à régler avec des comportements qui m'exaspèrent profondément mais se rencontrent trop souvent, particulièrement la soif de pouvoir et de contrôle sur les individus et sur les événements (y compris naturels), qui fait hélas tourner le monde. On doit ressentir à la lecture de
STYx une certaine rage qui est aussi celle de l'auteur, je le confirme, envers un monde inhumain et qui "ne tourne pas rond".
Bien que
STYx soit aussi un roman de science-fiction, on vous découvre quelques mois plus tard avec
Le Miroir du temps dans un registre assez différent, beaucoup plus orienté vers la Hard SF. Pourquoi un tel changement ? Et
Le Miroir du temps a-t-il été écrit avant
STYx ou les deux romans se suivent-ils réellement à peu d'intervalle dans leur écriture, comme leurs publications respectives peuvent le laisser penser ?
Ce n'est pas un changement de cap, une simple juxtaposition de hasard. La publication consécutive de ces deux romans est une pure coïncidence même si, en effet, ils datent à peu près de la même période d'écriture (pas si récente en réalité) et si, pour le second cité, c'est moi qui l'ai sorti du "tiroir aux oubliés" pour le présenter à l'Atelier du futur. C'est simplement dû au fait que j'écris dans divers registres, de façon indifférenciée, selon les idées ou les scénarios qui se présentent à moi, parfois de façon simultanée (je me souviens d'avoir eu en activité, sur la même période, jusqu'à six romans à divers stades d'avancement).
STYx était et restera un cas à part ; c'est un roman que je souhaitais absolument publier, et on peut deviner pourquoi, vu la valeur que j'accorde aux messages qu'il comporte ; même si de dire cela, venant de l'auteur, n'est pas le point de vue le plus subjectif qui soit.
Le Miroir du temps, qui, à l'origine, s'appelait : Effets-miroirs, présente une autre singularité, moins iconoclaste, plutôt d'ordre scénaristique, due à sa construction ou son architecture (à l'opposé de
STYx quant à lui très linéaire sur ce plan : en deux mots, une vengeance par amour, puis une enquête sur une vengeance). Et j'étais curieux de connaître un jour les réactions du lectorat SF face à un roman non chronologique, conçu en fragments brisés ou en puzzle, là où l'auteur se trouve très mal placé pour prévoir l'effet que peuvent produire, à la lecture, "effets-miroirs" et scénario en zig-zag temporel. J'attends des retours de lecteurs (c'est un peu trop tôt), mais il s'avère qu'un ou deux chroniqueurs m'ont semblé buter, comme dans la Boucle d'octobre, sur la complexité scientifique, réelle ou non, de l'argument principal. Or je crois bien que cette complexité est due pour partie à la difficulté de prétendre à un langage scientifique, explicatif ou didactique, vis-à-vis du paradoxe temporel qui résiste encore à la science... et même à l'analyse. La science n'étant d'aucun secours pour éclairer la théorie temporelle mise en scène, la justifier devient une sorte de bluff permanent ; même pour l'auteur, ça n'est pas si simple de se placer dans ce registre et de faire et écrire comme si cela existait vraiment. La boucle d'octobre présentait la même difficulté formelle, puisque j'ai "osé" me confronter au paradoxe temporel sans filet (celui de la "vraie" science), la remplaçant par des explications tenant parfois de la "philosophie" de l'écoulement temporel.
Cela dit, après
STYx, j'ai écrit trois autres romans (dont un roman "noir" contemporain, non SF) traitant, plus ou moins, de la même problématique très intimiste de la quête personnelle d'un "non-héros" vis-à-vis de forces qui le dépassent. L'exemple le plus caractéristique de ce type d'écriture est justement ce roman noir, qui s'appelle SPID (à nouveau un sigle pseudo "médical", presque un écho à
STYx). Aucun des trois n'est publié pour le moment, bien qu'ils soient (avis subjectif) parmi mes meilleurs. J'espère que leur tour viendra, car la parenté avec
STYx apparaîtra évidente, alors qu'elle ne l'est pas vraiment, ou si peu, avec
Le Miroir du temps. Aujourd'hui, je privilégie d'ailleurs les romans ou textes à messages, mais j'en reparle plus loin.
Bien que véritablement passionnant,
Le Miroir du temps est, comme vous le dîtes d'ailleurs vous-même, un roman assez ardu, difficile d'approche pour un lecteur assez peu versé en sciences. Quel était à vos yeux l'intérêt d'enrichir à ce point votre intrigue de concepts scientifiques si développés ? Et comment cela s'est passé avec votre éditeur, pouvez-vous nous parler un peu de votre rencontre ? N'a-t-il pas été un peu effrayé par la difficulté et la complexité du roman et tenté de vous le faire "alléger" au niveau scientifique ?
La complexité était inévitable sur un scénario aussi "tordu", ne serait-ce que d'invoquer le paradoxe temporel, qui ne mène jamais à des choses simples. Il s'agissait de mettre en communication des histoires a priori indépendantes, et la théorie de la "vitesse du temps" exigeait ou appelait donc une justification scientifique forcément complexe, pour mettre en concordance des incidents temporels en série, à chaque fois éclairés en contrepoint par les découvertes, aléas ou erreurs des protagonistes principaux, notamment dans la station Tycho Brahé. Mais, je l'avoue, c'est vrai que j'aime bien ce type de SF sur fond scientifique, dont personne ne veut entendre parler en France, hélas.
Curieusement, l'éditeur n'a pas baissé les bras (pour une fois !) ; c'est même le contraire. L'éditeur était par ailleurs assez pressé, car la collection SF, l'Atelier du futur, démarrait sur ce titre ; à croire que les éditeurs aussi ont hâte de voir naître le bébé, parfois ! Gilles Vidal a bien entendu admis que certains passages étaient "difficiles", mais que le lecteur était capable de gérer cela à sa façon, quitte à zapper les passages les plus complexes (je sais où ils sont, je ne suis pas dupe). De plus, il est un fan de Kim Stanley Robinson et se considère "vacciné" contre cette phobie qui prévaut trop souvent face à la hard science (c'est bien ça, Gilles ? Je ne dis pas de conneries ?). Malgré toute sa bonne volonté, je présume que ce sont les chapitres impairs et leur exotisme qui l'ont le plus convaincu ; s'il n'y avait pas ces immersions régulières dans des univers très différents, historiques, de fantasy, etc., ce roman aurait été assez indigeste, je crois, réservé aux fans de conjectures scientifiques pures et dures. Ces chapitres sont nécessaires pour respirer, et s'interroger, ce sont des "effets-miroirs".
En parlant de sciences, je crois d'ailleurs que vous êtes vous-même ingénieur. Je me pose donc une question un peu bête : possédez-vous réellement toutes les connaissances dont vous nous faite part dans votre dernier roman ? Tout cela fait-il partie de votre quotidien ou vous-a-t-il fallu de nombreux mois de recherches pour parvenir à un tel niveau de précision dans tout ce qui concerne l'optique, l'optronique et la physique ? Je ne vous cache pas que dans les deux cas vous avez toute mon admiration...
Les connaissances de ce roman ne sont pas d'un haut niveau absolu et sont prolongées par une large part d'extrapolations, que j'ai tenté de rendre plausibles au lecteur, y compris par une apparence de complexité ; je pense au second chapitre, une introduction "sur les chapeaux de roues", dont le contenu comme le langage sont en rupture totale avec les paysages grecs et cette douceur de vivre bucolique que l'on vient juste de quitter. Mais cela ne fait pas vraiment partie de mon quotidien, plutôt d'une volonté de rendre crédible un certain langage concernant des phénomènes que je ne pouvais éviter de mentionner, ici. Cela dit, ce roman offre en alternance quantité de langages et de façons d'écrire, on y trouve des ambiances ou problématiques issus de la hard science, de la fantasy, de l'uchronie, du roman historique, du thriller, de la SF, du roman d'aventures, etc., tous au service du même projet. Pour le volet scientifique, je n'ai pas eu à faire de recherches, j'ai fait fonctionner, "comme d'habitude", mon propre imaginaire pour combler les manques. Par exemple cet épisode totalement inventé (crédible ? A priori non, mais écrit comme tel) du gonflage d'un bloc-lentille en plein espace, en remplissant une poche translucide préformée (comme un matelas pneumatique) avec un composé thermodurcissable.
Une autre question me brûle aussi les lèvres à ce sujet : les potentialités offertes par
Le Miroir du temps sont tout bonnement prodigieuses et vertigineuses ! Pouvez-vous nous dire quelle est la part de vérité et de possibilités réelles dans les hypothèses émises dans votre roman ? A quel moment les théories que vous nous proposez (toutes ces notions sur les hyperlentilles et les propriétés de déplacement des lasers, par exemple) passent de la réalité à la fiction et à l'extrapolation pure et simple ? Cette question peut paraître un peu naïve en ce qui concerne la SF, mais ce que vous nous faites découvrir est si crédible et paraît si techniquement envisageable, que je ne résiste pas à la curiosité de vous poser la question !
La relation vitesse-temps est réelle, bien entendu. Tout ce que l'on voit est daté, "en retard" et donc situé dans le passé, en fonction de la distance à laquelle on l'observe. Le soleil qu'on "voit" dans le ciel n'est pas le soleil instantané, son image visible est datée d'environ huit minutes-lumière, et la lune d'une seconde. Ces astres qui accompagnent notre vie sont donc tous les deux des images du passé, comme une vidéo en différé, du fait de la vitesse de la lumière, bien connue depuis Einstein. De même, observer l'espace jusqu'à ses limites les plus lointaines correspond à revenir à l'origine des temps, au big bang. Sans aller si loin dans le temps, ce roman prolonge ce principe (d'une vision possible vers le passé) jusqu'à une planète plus lointaine que le soleil, une propriété physique très particulière de cette planète permettant ici de bénéficier d'un effet-miroir, d'où le titre original de ce roman. En réalité, cette situation idéalisée de "miroir idéal" n'est pas du tout réaliste, bien sûr (la somme de coïncidences y est mille fois trop importante pour que cela "fonctionne ainsi", ne serait-ce que, tout simplement, l'orientation idéale de ce miroir vis-à-vis de la Terre ou de la station). Mais l'idée, le concept, étaient vraiment trop tentants, y compris sur le plan symbolique, pour la laisser passer et donc, bâtir un scénario SF sur ce principe de "concordance géométrique", pourrait-on dire. Le reste des pseudo-théories est une extrapolation par continuité, menée sur un langage scientifique mais non justifiée par la théorie. Par exemple cette idée qu'au sein d'un laser porteur, la vitesse de la lumière puisse être différente, comme dopée, ou, plus "gonflé" encore, celle qu'un objet matériel puisse être dématérialisé au sein du rayon laser porteur, puis "rematérialisé" à son impact, comme une image sur un écran, et avec les effets induits qui sont ceux d'une projection de lumière, à savoir une image plus grande que le modèle ou la source, si le rayon diverge. Tout cela est finalement très simple dans l'absolu, si l'on imagine un projecteur dans un cinéma, dont le rayon porterait aussi les grains de poussière de la salle, en plus des images du film.
Dans
STYx aussi bien que
Le Miroir du temps, on retrouve ce style qui semble vous définir, ce mélange réussi de philosophie et de poésie, cette grand maîtrise stylistique qui donne une véritable richesse émotionnelle à vos romans (je pense tout particulièrement aux Plongeurs du Miroir du Temps ou aux Musidancers de
STYx). Pouvez-vous nous parler un peu de votre manière d'écrire, de vos différentes sources d'inspirations ?
A mes débuts, j'ai entendu parfois parler "d'écriture cinématographique", me concernant, même si cela ne concerne pas forcément la totalité de mes écrits. Il est vrai que parfois, je me complais - ou me fais plaisir - à prolonger les descriptions. Je pense par exemple à
STYx, lorsque j'évoque la ville (Narghaï), qui le méritait je crois, car elle me semble correspondre à un certain idéal urbain, la "cité de rêve" du touriste occidental... une cité méditerranéenne, peut-être grecque, sauf qu'il y manque la proximité avec la mer, bien sûr. Je reconnais mes marques de fabrique ; je sais que j'ai beaucoup moins d'attentions (descriptives) pour mes personnages que pour mes paysages. Ceux qui me lisent ont noté depuis longtemps que je décris rarement mes personnages principaux ou secondaires, que je laisse le lecteur s'en faire l'idée qu'il veut, voire se l'approprier ou s'identifier à lui ? Je crois que c'est une réaction à un "truc" d'auteur qui m'agace profondément, dans le polar classique ou ancien notamment, cette description systématique et presque forcée, de pied en cap, de chaque nouveau personnage, au moment où on l'introduit dans le roman. Pour moi, un individu n'est pas prédisposé à un comportement ou à un rôle par son physique ou sa façon de s'habiller ; cela dit, c'est un axe de discrimination bien connu, que je constate trop souvent dans le monde réel ("l'habit fait le moine", pour résumer) je ne souhaite donc pas en user en tant qu'écrivain. Ce qui compte, pour moi, dans un personnage de roman, c'est ce qu'il vit et comment il le vit, ses sensations et ses sentiments, et non pas le fait que ses chaussettes soient bleues ou vertes, etc. :-)
Mes sources d'inspiration ? Elles sont diverses. L'actualité est une mine de scénarios potentiels pour un auteur de SF, dans la catégorie que j'appelle le roman "à messages". Pour le fantastique, c'est un peu différent, c'est une extrapolation de pensées débridées nées de confrontations avec le réel, ou issues de l'imagination pure et dure, à partir de la fameuse question-clef "Et si ?", appliquée à tout et n'importe quoi. Parfois, c'est en restant attentif, en lisant un roman, ou face à un film, qu'il vient une idée, lorsque l'on pense que l'auteur va nous mener sur une certaine piste ou direction, ce qui s'avère faux. Et cette idée qu'un autre aurait pu avoir mais qu'il n'a pas eue, une idée que, par anticipation ou précipitation, j'ai cru déceler, je me l'approprie, je la "récupère", et elle devient la mienne avant même d'avoir servi. Comme quoi, on peut apprendre à partir de ses "erreurs" (d'interprétation) et en tirer parti ! Enfin, il y a les mots-clefs et les associations de mots, qui peuvent être aussi à la source d'un texte ou d'un roman ; l'idée de
STYx est née uniquement de la racine étymologique latine du mot compassion (= souffrir avec), et celle de Huis-clones d'un jeu de mots, certes un peu léger, conduisant à associer clone et isolé / emprisonné (cf. huis clos).
En tant qu'écrivain reconnu dans le domaine de la science-fiction (même si vous avez aussi abordé d'autres genres tels que le fantastique ou le polar au cours de votre carrière), quel regard portez-vous sur la production littéraire actuelle dans le domaine de l'imaginaire ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain ?
Je regrette évidemment la place réduite de la "vraie" SF (chacun entendra ce qu'il veut sous ce mot) au profit de la fantasy qui occupe sans doute trop de place dans les catalogues, en proportion de son intérêt absolu. Je ne la renie pas, mais constate qu'elle phagocyte les genres "voisins" ; ce sont peut-être les éditeurs qui l'ont voulu ainsi, en partie du fait de la Pottermania, je pense, mais aussi à cause d'un lectorat qui recherche dans la lecture l'évasion et seulement cela (y compris limitée au seul décor) plutôt que la réflexion. Les années 70 ont vu certains excès de SF politique assez haineuse, parfois mal écrite ou trop cryptée, mais l'excès inverse est tout aussi regrettable. Cela dit, j'ai aussi écrit un peu de fantasy - quelques nouvelles pas très nombreuses - mais pas de roman.
J'ai un peu de mal à conseiller un jeune écrivain, aujourd'hui, vu les faibles possibilités d'être publié, que je subis moi-même en tant qu'auteur. Je pense que le moyen de se détacher et d'avoir sa chance est d'avoir, à la fois, du style - je veux dire "un" style, une patte - et des bonnes idées, mais les deux se travaillent... y compris en lisant. Et, même pour un écrivain de SF, en lisant autre chose que de la SF : des "classiques" anciens ou contemporains de la littérature, des essais, des analyses, etc.
Pour finir, quelle est votre actualité ? Avez-vous des projets dont vous pourriez nous parler ? J'ai entendu parler d'un prochain roman, l'Arène des Geants, prévu aux toutes jeunes éditions Interkeltia. Vous pouvez d'ores et déjà nous en parler ?
J'ai deux projets de romans acceptés chez Interkeltia, "jeune" maison d'édition (pas encore née, en fait, au moment où j'écris ces lignes) qui ouvre un registre SF qui n'existe pas encore véritablement en France : la SF à "messages", réaliste, apte à faire s'interroger le lecteur sur notre monde, une SF que j'imagine assez proche de celle de Kim Stanley Robinson ou d'auteurs de ce type. D'une façon, je dirais que
STYx répondait aussi à cette définition, même si j'ai planté le décor ailleurs que chez nous. La Voie Rubis doit sortir ce mois de juin chez L'atelier du Futur, il s'agit d'un space opera se déroulant dans notre système solaire (sur Jupiter et ses satellites) ; en revanche, le scénario est plus nettement typé aventures, sans message particulier, assez proche d'un bon vieux Fleuve Noir SF de la "grande époque". Ce n'est pas un roman majeur, ce n'est pas le meilleur, mais j'ai pris plaisir à l'écrire et à y mettre un peu de science de ci de là, pour pimenter le décor : le laser à énergie - la Voie Rubis - ainsi qu'un mode de transport assez original entre la Terre et Jupiter, au service d'un scénario sans prétention, mais plus facile à lire que
Le Miroir du temps, plus grand public. L'Atelier de presse doit aussi éditer, vers octobre, un petit "roman noir" assez amusant (paradoxe ?), dont le titre pourrait être "La guerre du Golfe", qui traite d'une enquête menée sans trop y toucher par toute une famille en vacances d'été au bord de la mer, en Bretagne (un gros "soupçon" d'autobiographie dans cette famille-là, sauf le meurtre, puis l'enquête, qui sont pure fiction...). Pour les nouvelles, l'anthologie Secrets de famille de Gudule vient juste de sortir chez Malpertuis avec un texte assez dur, "Petit soldat de l'ombre", mettant en scène un enfant. C'est un texte qui rappelle quelque peu le passage central de "Dernier souffle", sorti en 2007 chez le même éditeur. Argemmios (Nathalie Dau) sort cette année Flammagories, une anthologie bâtie sur les diverses résonances d'une musique sur l'imaginaire d'un groupe d'auteurs. J'y mettrai à nouveau en scène un enfant, dans un texte très sombre et poignant, de fantastique "léger", illustrant les conséquences des massacres du Rwanda.
Merci beaucoup Jean-Michel Calvez et je vous laisse donc le mot de la fin pour conclure ce bel entretien :
Le mot de la fin ? Hum. Un grand merci pour m'avoir permis, par ces questions (im/)pertinentes, de me poser des questions sur mon parcours et mes propres textes, que j'ai parfois tendance à oublier (comment, ou pourquoi ils sont nés, etc.) pour passer aux suivants. De temps à autre, savoir où l'on en est, mais aussi être capable de s'en expliquer, est nécessaire.
Interview réalisée par Chaperon Rouge