STYx
STYx. Syndrome Transmissible par les Yeux.
Une planète lointaine colonisée par les hommes en vue d'en exploiter les richesses minières. Sur cette planète cohabitent donc les Lutins, les autochtones humanoïdes, et les colons terriens. Les Lutins sont pacifistes, curieux et finalement assez indifférents aux humains. Tout aurait pu se passer pour le mieux (bien que dans un climat purement colonialiste d'exploitation du faible, dont les Terriens sont si friands) si un terrible virus ne s'était pas répandu. Le STYx. Une terrible maladie dont semblent être porteurs les Lutins et qui se transmet de la manière la plus insidieuse qui soit : par la compassion. Par l'amour, la pitié, tous ces sentiments diffus, impalpables et incontrôlables, qui font que nous sommes humains. Quiconque ressentira de la pitié ou de la compassion pour un Lutin ou pour un "positif", un humain touché par STYx, sera à son tour condamné. Condamné à la perte de sensation jusqu'à la mort, l'annihilation de l'homme par les sens. Une terrible malédiction qui rend au mot "compatir" son sens primaire, "cum patior": souffrir avec. Quiconque compatira mourra. C'est aussi simple que cela. Unique solution pour survivre, se forger un barrage mental inébranlable à l'égard des Lutins et des positifs, ne rien ressentir si ce n'est de la haine ou du mépris, renforcer le clivage entre les deux peuples en perdant peu à peu toute trace d'humanité et d'émotion... Sauf que la situation va peu à peu dégénérer.
Le roman s'ouvre sur le meurtre d'un positif par une bande de Lutins. Mais parler de meurtre est presque un euphémisme vu tout ce qu'ils ont fait endurer au pauvre homme : curieux par nature, ces Lutins ont voulu voir jusqu'où un humain touché par STYx pouvait supporter la souffrance. Alors il lui ont tout fait. Tout. Toutes les pires tortures de l'histoire réunies en un seul homme... Et cet homme ne sera pas le seul à vivre ce cauchemar, jusqu'à ce qu'un événement tragique mène Orfeu, un journaliste, à plonger au coeur des mystères de Narghaï la verte et au plus profond des secrets détenus par les Lutins, un peuple oppressé que les terriens n'ont jamais cherché à connaître ni à comprendre.
STYx est un roman tragique, sombre, cruel, violent, bouleversant. Les mots manquent presque pour le définir... STYx est un bijou, un plaidoyer brûlant contre notre monde et son absurdité, un chef-d'oeuvre d'intelligence, de style et d'émotion. STYx est un roman noir, parfois insoutenable dans l'horreur qu'il décrit, dans la profondeur des émotions qu'il suscite, mais c'est aussi une réelle beauté qui se dégage de cette noirceur, une ode à la communication entre les peuples, un appel bouleversant à la connaissance de l'autre et un brûlot sur l'esprit colonialiste, la perversité et la corruption des rapports humains. Un livre sombre, pessimiste, dévastateur qui vous prend aux tripes et qui délivre un message infiniment troublant, loin de toute espoir et de toute possibilité de rédemption. Découpé en deux parties, STYx nous raconte la quête de deux hommes, deux parcours vers la compréhension de soi et de l'autre, deux plongées au coeur de l'horreur et de la folie, mais aussi et surtout au coeur de soi-même. De terribles secrets, une troublante vérité va bientôt éclore, mais sera-t-il encore temps ? Lutins et Terriens pourront-il se sauver avant que l'horreur la plus totale ne s'abatte?
Mais dans STYx, au delà-de l'histoire - aussi excellente soit-elle - il y a aussi la plume de Jean-Michel Calvez, sensitive, profonde, riche et évocatrice. Le roman s'ouvre sur le spectacle d'un "musidancer", un artiste qui met en scène par sa souffrance les stigmates de STYx, un homme mourant, rongé par la maladie, qui offre son supplice aux hommes comme un dernier acte créatif, comme une dernière offrande, très probablement incomprise. Dans cette entrée en matière au roman, un peu perturbante tout de même, il y a déjà tout. Tout le style de Jean-Michel Calvez est là, d'une richesse inouïe, sensuel, et dérangeant. Un ouvrage d'une force incroyable...
Ce roman est bourré de talent et d'intelligence, il est à fois terrible et beau, à l'image de la "lacération de Mona" oeuvre destructiviste qui jalonne tout le roman en nous renvoyant sans cesse à la figure le message effroyable de l'oeuvre. STYx est un petit bijou, il faut courir vous le procurer, vous n'en ressortirez pas indemnes. Merci aux éditions Glyphe pour les belles pages qu'ils nous offrent avec leur toute jeune collection "Imaginaires" (La mallette jaune et (Pro)créations) et il est à espérer que la suite sera tout aussi excellente !
Note : 9/10
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Chaperon Rouge