Le Poisson bleu nuit
Le fantôme d'un enfant qui cherche du réconfort chez les vivants, une femme qui se fait tatouer un poisson dans le dos et qui disparaît au fond d'un océan, un autre enfant en manque d'amour qui tente d'appeler à son aide un ancien dieu païen, des fées qui se cachent dans les blés et des mots surtout, qui glissent sur les corps des personnages pour mieux s'insinuer dans notre esprit, qui montrent les travers de l'humanité, de l'enfance brisée, du mal de vivre et des rêves fous. Les mots de Cabasson nous racontent des histoires, travaillent les symboles et nous plongent dans une poésie noire, couleur bleu nuit, superbe !
J'ai découvert la littérature d'Armand Cabasson grâce à son précèdent recueil de nouvelles,
Loin à l'intérieur, publié aux Editions de L'Oxymore. Et je vous jure que depuis, sa plume ne m'a plus jamais quittée, que souvent elle a accompagnée mes journées et se sera encore une fois le cas avec Le Poisson bleu nuit.
D'abord, car il y a chez Armand Cabasson cette facilité de dépeindre l'humain dans sa totalité sans jamais sombrer dans la facilité et toujours en liant le corps et l'esprit. Je pense ici encore une fois au Poisson bleu nuit, cette nouvelle qui pénètre en nous, lentement, au rythme d'un tatouage qui se fait sur plusieurs mois selon l'art Wabai (art du tatouage japonais), et qui nous plonge petit à petit dans une histoire d'amour, fantastique, sombre et remplit de mélancolie.
Puis ensuite chez Armand Cabasson, il y a le voyage, la volonté d'aller vers l'autre, vers l'inconnu. On retrouve ici une de ses thématiques de prédilection qui est le Japon, même si cette dernière, je trouve, était un peu mieux développée dans
Loin à l'intérieur. Le petit singe de Kyoto entre autres, que certains ont déjà pu lire dans la revue Emblème Extrême-orient, ou un petit singe démoniaque aide un samouraï et change le cours d'une bataille. Mais je n'ai pas retrouvé ici le souffle épique qu'il y avait dans les nouvelles précédentes ayant trait à ce thème.
Mais reste qu'Armand Cabasson est aussi très fort quand il dépeint des ambiances historiques (lire ses romans policiers se passant sous le règne de Napoléon 1) toujours en leur insufflant ici une dimension fantastique. A ce titre, la nouvelle Bethums est superbe. L'auteur nous plonge en pleine guerre de sécession, où des troupes sont obligées de pénétrer un marais. Mais savent-ils vraiment ce qui se cache là ? Et si les vrais ennemis n'étaient pas humains ? Superbe nouvelle qui nous plonge dans une ambiance proche de La chose du marais.
Cependant Armand Cabasson sait aussi que le pire ennemi est souvent en nous. Lire La montée du grand Léviathan, c'est comprendre qu'un homme peut construire une ville dans un désert, détourner même une mer et peupler la ville d'hommes et de bêtes, mais que le monstre qui est en lui est malgré tout toujours là, prêt à se réveiller, à surgir au moindre moment. L'homme est un Léviathan pour l'homme !
Plonger dans l'oeuvre d'Armand Cabasson, c'est plonger dans les méandres de l'âme humaine, qu'un fantastique poétique éclaire avec brio. Alors au détour des pages apparaissent des fées, souvent liés à l'enfance et à la nature. Et puis d'un coup, là où on s'attend à voir apparaître une de ces petites créatures, elles ne sont plus là, le fantastique devient plus "réaliste" comme dans ma nouvelle préférée Le fils de Cernunnos. Sur fond d'usine en grève, d'hommes qui souffrent, l'auteur nous compte l'histoire d'un petit garçon qui attend un dieu ancien qui ne viendra pas, l'histoire douloureuse et belle d'un petit garçon qui attend son père, un père qui ne viendra pas non plus. Poignante, superbe, certainement l'une des meilleurs nouvelles de ce recueil. Belle et triste à pleurer ! Encore une fois la littérature d'Armand Cabasson utilise le symbole et c'est là toute sa force, c'est là la clef de son fantastique et c'est ce qui me plaît tant. Dans ce fils de Cernunnos le petit enfant attend un dieu cerf, avec des cornes, beau et fort comme pourrait l'être un "papa". Un père absent...
Le Poisson bleu nuit est donc un superbe recueil de nouvelles, aux écrits variés et souvent poétiques, aux thématiques diverses et toujours profondes, une lecture qui nous remet en question, nous et notre monde, une plume intelligente qui se nourrit de voyages tant physiques qu'intérieurs. Armand Cabasson est à mon sens l'un des nouvellistes les plus originaux et les plus importants en France en matière de fantastique. Bref, un nouveau chef-d'oeuvre, à lire à tout prix.
Note : 9/10
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