Loin à l'intérieur

J'ai refermé le livre. Puis je l'ai rouvert. Relu une nouvelle, puis deux. Refermé à nouveau le beau et terrible ouvrage. Le choc fut le même à chaque fois. Choc esthétique d'abord, car il faut bien le dire l'auteur possède une plume fantastique, une plume de conteur, c'est-à-dire simple et profonde à la fois.
Choc aussi face à la culture et à l'érudition dont fait preuve l'écrivain. Non, pas cette culture qui vous en met plein la vue pour pas grand-chose, mais cette culture qui vous donne envie d'aller plus loin, qui vous fait aimer un autre pays sans n'y être jamais allé ou un personnage historique sans jamais même l'avoir connu. Ici, il s'agit entre autre du Japon puisque trois nouvelles sur dix huit ont trait à ce pays. Un japon du conte ("Dragons, renards et papillons"), un japon de la guerre ("Derniers jours d'un samouraï") et un japon contemporain ("Flocons rouges"). Voilà déjà tout un programme fantastique à l'image de ce recueil.
J'ai relu encore certaines des nouvelles, celles qui me plaisent le plus. Ca sert à ça un livre et surtout celui-là. Passionnant car kaléidoscopique. Dix huit nouvelles pour un voyage loin à l'intérieur. Un intérieur qui est peut-être celui de l'Homme. Un livre fascinant qui nous met souvent face à nous-mêmes, qui nous pétrifie d'effroi et qui m'a fasciné et qui continue d'agir sur moi. Troublant. Dix huit nouvelles, dix huit chef-d'oeuvres, mélange d'horreur, de tendresse, de voyage historique, de simplicité et de profondeur dont personne ne peut ressortir indemne. Aventure, amour, enfance, guerre etc... Je ne pensais pas, et pourtant dieu sait que j'aime la littérature, qu'un seul et même livre pouvait renfermer autant de trésors.
Un livre qui peut plaire à tout le monde. J'en rêvais, Cabasson l'a fait.

Armand Cabasson est psychiatre. Ne comptez pas sur moi pour vous expliquer en quoi consiste exactement ce travail mais il semble que malgré tout, il soit la substantifique moelle du travail de l'auteur. Je ne sais pas non plus en quoi consiste véritablement le travail d'écrivain mais j'ai comme l'impression que parfois ces deux métiers se ressemblent. L'un et l'autre sont là pour décrire l'âme humaine il me semble (et aussi peut-être pour la guérir). C'est ce que fait Armand Cabasson et c'est ce qui dérange dans son oeuvre, ce qui bouscule, comme s'il nous faisait pénétrer dans la tête de ces petites victimes abusées par des hommes dégueulasses, dans la tête de ces victimes de drames pourtant si ordinaires tant ils peuplent malheureusement notre quotidien.
Le fantastique et l'horreur sont là pour ça, pour exorciser, raconter, soigner, mettre en face du fait accompli, nous mettre en face de ce qui est loin à l'intérieur de nous mais qui est pourtant si proche. C'est toute l'histoire de ces dix huit nouvelles présentées ici. Vue comme ça et sous ma plume c'est banal. Je vous prie de croire que non. Car les écrits de Cabasson sont peuplés de démons et autres créatures qui ont toutes à voir avec la face sombre de l'homme : des golems, des zombies, des vampires, des savants fous, des oiseaux violeurs, des dieux anciens que l'on croyait oubliés à jamais, vouivres et gargouilles et il y a même des invités de marque puisque la mort et le diable eux-mêmes s'invitent à ce voyage que je vous invite à faire en compagnie d'Armand Cabasson.
L'imagination de l'auteur semble pouvoir peupler tous les lieux et toutes les époques. Puisque bien sûr le japon comme l'ai déjà dit est présent, mais aussi le fin fond des Etats-Unis ainsi que l'enfer, le Moyen-âge et ses pénitents étranges, le dix neuvième siècle sur lequel plane l'ombre de Lovecraft ou même de Poe.
Un livre fabuleux donc par sa diversité et par le style employé par l'auteur.
Mais il n'y a pas que les images fortes et troublantes, voire gore dans ce voyage. Il y a aussi une certaine tendresse qui émane des récits de l'auteur. Car beaucoup de ses protagonistes sont des victimes, des êtres mal dans leurs peaux ou qui portent sur leur visage le masque de la damnation.
Des personnages troubles et plutôt attirants. Peut-on en vouloir à un homme qui s'en va porter croisade à Satan lui-même de devenir diable à son tour ? Peut-on en vouloir à la petite Jenny de créer un monstre pour tuer un beau père trop violent ? Peut-on en vouloir à cette japonaise qui se transforme en renard pour pousser à une mort certaine des hommes qui tuent, pillent et violent sur des champs de bataille ? Peut-on en vouloir à un homme de devenir réanimateur de mort pour sauver l'amour de sa vie ? Il en est ainsi dans l'univers de Cabasson et il en est peut-être aussi ainsi dans la vie où bien et mal se mélangent pour devenir ce kaléidoscope chatoyant et pourtant si difficile à regarder en face. Rien n'est acquis à l'homme, le fantastique est souvent là pour nous le rappeler, du moins quand il est bien écrit, bien conçu comme ici.
Ce livre est une pure merveille et il renferme tant d'histoires variées qu'il m'est difficile de tout vous dire et de tout vous raconter. Il y en a pour tous les goûts : les plus sanguinaires d'entre vous se réjouiront à la lecture de "De morte et de mortis dementia" histoire de Zombis et de manipulation médicale, les plus romantiques y trouveront leur "amourette" sombre avec "Le prince et la mort" ou quand la mort est amoureuse, les plus politisés de nos lecteurs pourront se réjouir avec une fin du monde annoncée par le créateur fou de la vache folle etc...
N'oublions pas que Cabasson est médecin donc je vous laisse imaginer les détails qu'il est capable parfois de nous donner... Mais souvent la mort gagne et la mort est une femme.
Car il y a quelque chose qui m'a énormément ému à la lecture de toutes ces nouvelles, mise à part la présence de la mort, c'est la présence de la femme et surtout comment Cabasson arrive à nous en parler. Souvent maltraitée par un monde d'hommes mais toujours digne, l'auteur nous la décrit avec pudeur et tendresse, loin des clichés stéréotypés d'une certaine presse ou même d'une certaine littérature trop typiquement masculine. Je ne peux m'empêcher de vous citer cette phrase issue de ma nouvelle préférée : "Dans le tribunal des hommes, les femmes sont éternellement coupables".
Avec ses mots Cabasson fait vivre devant nous de vraies héroïnes, même quand il s'agit de la mort elle-même, et nous conte des histoires effrayantes mais intelligentes. Je suis prêt à parier que c'est tout cela qui a conquis cette grande prêtresse qu'est Léa Silhol, elle pour qui l'histoire de l'imaginaire et avant tout une histoire de femmes. J'en profite alors pour saluer cette grande éditrice qui au sein de sa très belle collection Epreuve ma permis de découvrir un grand écrivain. En bref, Cabasson nous livre ici un chef d'oeuvre et je pèse mes mots ! A lire à tout prix !

Note : 10/10
Moyenne des votes : 10/10 (1 vote)

Cruisader



A propos de ce livre :

- Site de l'éditeur : http://www.oxymore.com/

Psychovision © 2002-2008 | Contact | Partenaires : Films d'animation