Le Dernier de son espèce
(Der Letze Seiner Art)

Après le sublime Des milliards de tapis de cheveux, je m'étais juré une chose : ne plus lire de Eschbach par peur d'être déçue tellement j'avais aimé ce roman. Je m'y suis courageusement tenu pendant près de deux ans et voilà que ça y est on me met Le dernier de son Espèce, la dernière perle de cet auteur allemand définitivement très brillant, entre les mains. Et bah voilà, que voulez-vous que je vous dise, me voilà de nouveau "Eschbach addict"...
Duane Fitzgerald vit dans une petite ville retirée d'Irlande. Il y mène une existence morne et paisible, une vie solitaire et apparemment sans souci. Mais Duane Fitzgerald cache en réalité un terrible secret : il est bien loin d'être un homme ordinaire car il est un Cyborg. Un homme enrôlé plus de dix ans auparavant dans un projet militaire top secret qui avait pour but de créer des soldats invincibles. Des soldats assistés mécaniquement avec dans leurs entrailles et dans leurs muscles une technologie de pointe ultra révolutionnaire. Des hommes robots, mais avant tout des hommes. Mais le projet Cyborg n'a pas rencontré le succès escompté et ces soldats ont été mis en retraite anticipée avec défense absolue de souffler un seul mot sur l'expérience.
Des Cyborgs inutiles, des hommes aux chairs offensées et aux destins brisés, des carcasses livrées à la lente détérioration de leurs circuits, finalement pas si fiables qu'on le leur avait pourtant fait miroiter. Des vies désormais sans fondements, sans justification ni sans but, cachées dans l'ombre et l'ennui... Duane est l'un d'entre eux et il entend bien essayer de finir sa vie le plus dignement possible, si ses circuits le lui permettent... Car ces temps-ci, il lui devient parfois bien difficile de mener une vie normale entres les pannes de systèmes de plus en plus fréquentes et les câblages qui menacent de plus en plus de se rompre définitivement.
Mais un jour, un homme étrange, un asiatique frénétique, va tenter d'entrer en contact avec Duane Fitzgerald. Un homme qui semblerait connaître l'existence des Cyborgs et qui voudrait les sortir de l'ombre en intentant un procès impensable contre l'armée et le gouvernement américain. Mais cet homme ne sait quels terribles secrets il va réveiller en voulant faire éclater la vérité au grand jour et à quel point il va modifier le destin de Duane. Une folle quête va commencer, une aventure lourde en conséquences et en révélations...

Le dernier de son espèce est vraiment un excellent roman. Un roman comme Andréas Eschbach sait en écrire, éminemment intelligent et à la charge émotionnelle énorme. Ici, pas de Space opéra, pas d'aventures galactiques ou de théories scientifiques élaborées. Non. Le dernier de son espèce nous offre bien plutôt une science-fiction intimiste, une anticipation à la frontière de notre monde où même les délires scientifiques sont rattachés à du vécu. Je m'explique : Les Cyborgs, vous vous doutez bien que cela n'est pas encore scientifiquement possible. Impossible de remplacer les muscles, le squelette et les entrailles d'un homme pour les remplacer par un réseau inimaginables d'acier, de câbles et de processeurs ultra pointus. Sauf que vous avez déjà vu cela une fois de par le passé, dans la série l'Homme qui valait trois Milliards. Rappelez-vous Steve Austin, l'homme bionique, et ses jambes ainsi que son bras gauche surpuissants. Et bien se sont en gros exactement les mêmes modifications qui ont été réalisées sur Duane. La référence est constante et explicite, à tel point que Duane lui-même voit en la série l'une des raisons qui lui ont fait accepter un projet aussi fou et destructeur... belle mise en abîme !
Ce roman glisse lentement vers son aboutissement, tout en introspection et en flash-back, reposant sur une structure très intéressante de constants retours. Tout en demi-teintes, le dernier de son espèces nous montre les rouages d'une administration militaire bornée et imbécile, les rêves d'absolu de jeunes gens perdus et réfléchit à chaque page sur l'âme humaine, ce qu'elle est, ce qui la définit et ce qui fait que l'on est homme. Duane est-il moins humain maintenant qu'il est à moitié robot ? A-t-il perdu son humanité en même temps que sa dignité et sa vie d'avant, lui qui ne peut désormais plus manger, plus boire ou profiter de la vie ? Qu'est-ce donc en définitive qu'être un homme en ce monde plein d'incompréhension, de trahisons et de folie ? Le Cyborg jouet et victime de la folie de démiurge de savants fous sous couvert du gouvernement ou le Cyborg victime de son propre Hubrys, victime d'avoir voulu posséder une force suprême que sa condition de mortel lui refusait ?
Ce sont toutes ces questions que soulèvent le dernier de son espèce, mais c'est aussi l'amour, la mort, le destin, la culpabilité, l'impuissance et la stupidité ou la vanité des actes. Ce roman est une petite perle qui emprunte chacune de ses exergues de début de chapitre à Sénèque, le philosophe grec, afin d'illustrer par une courte citation la futilité ou la raison profonde de ce que nous allons lire. Les niveaux de lecture du Dernier de son espèce sont donc multiples et ce roman est d'une très grande profondeur, d'une intensité émotionnelle et philosophique réelle. Quelques longueurs découlent forcément de l'aspect intimiste et spéculatif du roman, voire méditatif pour certains chapitres, mais la science-fiction et les révélations toujours plus terrifiantes et passionnantes viennent à chaque fois relancer l'intérêt et l'entretenir jusqu'à la fin. Certaines pages sont réellement magnifiques et il y aurait trop à dire sur cet ouvrage pour pouvoir faire tenir tout cela en une humble chronique.
Le mieux que je puisse vous conseiller est donc de lire ce roman, il vous touchera forcément par l'une des ses multiples facettes. Peut-être pas un roman exceptionnel mais dans tous les cas une oeuvre pleine de force et de réflexion, une oeuvre chargée d'humanisme et d'humanité qui replace l'homme dans sa condition et qui parfois l'élève encore un petit peu plus haut. Andréas Eschbach est une grande plume de la science-fiction européenne, un souffle profondément humain et riche d'émotions, il nous le prouve une fois de plus.

Note : 8,5/10
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