Le Crépuscule des Loups
Combien d'histoires n'a-t-on pas raconté, au fil des siècles, sur ces animaux féroces qui attaquent tantôt le Petit Chaperon Rouge, tantôt les trois gentils petits cochons ou plus prosaïquement des troupeaux entiers ? Le loup dans l'imaginaire collectif, lourd de plusieurs siècles de préjugés et de croyances trop vivaces, est devenu le monstre à abattre à tel point qu'aujourd'hui il est en voie de disparition. Dès la fin du XIXème siècle, cet animal pourtant si proche de nos chiens domestiques, est décimé. Pourtant, les attaques d'un loup envers un homme sont rares, comme pour le requin d'ailleurs, autre animal en voie de disparition...
Charlotte Bousquet décide alors de réunir, avec l'aide de l'éditrice Estelle Valls de Gomis, un certains nombres d'auteurs et d'illustrateurs pour la "bonne cause", c'est-à-dire essayer de renverser cette tendance qui fait du loup l'animal monstrueux qu'il est devenu, comme si un animal pouvait être monstrueux, il est juste un animal... Loin de moi l'idée de polémiquer quant au bien fondé de remettre des loups (ou pas) dans les alpages où s'est développée une économie qui pourrait très bien se passer du loup. Je m'en tiendrai simplement aux textes et me permettrai tout de même de souligner que tous les droits d'auteurs et d'illustrateurs seront reversés au parc du Gévaudan qui oeuvre pour le retour du loup en France. Voilà une superbe initiative !
Belle initiative d'autant plus que le générique est alléchant : Lucie Chenu, Nicolas Cluzeau, Nathalie Dau, Jean Marigny, Claude Seignolle, Estelle Valls de Gomis entre autres. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette anthologie réunit du beau monde !
Je me permettrai tout d'abord une petite mise en garde envers le lecteur : ne lisez pas tout d'un coup. A mon avis pour pouvoir pleinement apprécier le Crépuscule des loups, il faut l'ouvrir une fois par jour, comme un livre de contes dont on lirait une histoire par jour. Car, et ce malgré la diversité des styles et des talents, j'ai trouvé qu'il y avait malgré tout une certaine répétition à la lecture du recueil. Tous les auteurs s'entendant bien sûr à réhabiliter le loup et tous allant dans ce sens n'hésitant pas parfois à grossir le trait. Malgré tout, se plonger dans cette anthologie s'est aller à la découverte d'un animal superbe et mystérieux, c'est plonger dans une très belle aventure et c'est cautionner un bel engagement.
Dès l'ouverture de l'ouvrage, on est pris par le style profondément humain, sensible et engagé de Nathalie Dau, qui inverse la tendance en nous montrant que le monstre n'est pas nécessairement celui que l'on ne connaît pas mais peut être celui qui est là, tout prêt de nous. J'ai tendance à ne pas trop aimer les écrits qui "font parler les animaux" (car pour moi un animal reste un animal...) mais ici c'est fait avec tellement de grâce et de beauté que ça marche malgré un côté un peu trop pastoral à mon goût. Mais en lisant cette première nouvelle j'ai compris que parler du loup, de ce qui nous effraie donc, c'est parler de l'Homme. Belle révélation, même si certains me diront qu'il était temps que je m'en rende compte...
La nouvelle qui fait immédiatement suite à celle de Nathalie Dau s'intitule "La Morsure" et elle est écrite par un de ces écrivains que j'admire le plus, certainement l'un des plus grands conteurs français, une connaissance absolu du folklore, le grand Claude Seignolle. Et que dire... Une plume, une analyse du phénomène loup, un texte absolument fabuleux, qui nous éclaire sur nos peurs, nos craintes, écrit d'une façon inégalable. Se priver de cette nouvelle, c'est pour moi se priver de beaucoup de choses et à elle seule elle pourrait justifier l'achat de cette anthologie. Pour moi elle résume parfaitement le problème du loup à travers les siècles et elle éclaire la nuit de notre conscience !
Bien sûr, je ne pourrais vous parler de toutes les nouvelles que contient cette anthologie. Mais je me vois obliger de continuer et de vous parler de la nouvelle suivante. Jean Marigny fait partie de ces "érudits" qui ont permis d'éclairer le phénomène vampire et je le connais et je l'admire (et oui encore...) surtout pour ces travaux sur les créatures nocturnes qui sont à mon sens dans les meilleurs jamais produits. J'avais découvert le Marigny écrivain dans l'excellente
anthologie Vampires (éditions Glyphe) et je le redécouvre à nouveau ici avec "Loup y es-tu?" Et encore une fois, c'est une nouvelle originale et superbement menée, une histoire de loup garou qui s'est ménagée son final pour nous faire comprendre que lorsque l'on tue un loup c'est peut-être bien nous-même que nous tuons... Certainement une des nouvelles les plus originales qui habitent cette anthologie.
Cependant, la palme de l'originalité et la nouvelle qui m'a le plus touché est écrite par une auteure que je découvre ici : Ménolly. "Le chant du loup" est la rencontre improbable entre la SF et les légendes inuits. Elle est aussi la nouvelle qui m'a fait prendre le plus conscience de ce que l'on risquait de perdre en détruisant ce qui nous entoure, le tout écrit avec une force poétique et une réelle sensibilité. Pour moi une vraie découverte !
Et ainsi, cette anthologie continue et aux détours des pages on y croise un conte superbe écrit par Denis Colombani ou l'on apprend qu'il vaut mieux être gouverné par des loups que d'être gouverné comme des chiens, une histoire de totem et de solitude dans "La nuit de la louve" de Sophie Dabat qui par la même occasion ressuscite des mythes indiens (oui car la bêtise humaine ne tue pas que les animaux) ou bien encore Lucie Chenu qui nous livre avec poésie des mots qui aurait pu être inspirés par Kipling lui même.
Le Crépuscule des loups, c'est un formidable voyage qui nous entraîne à la rencontre de ces bêtes que l'on persécute et qui par là-même nous montre toute l'aberration et la stupidité de l'Homme, cruel avec l'animal et cruel avec lui même. A cet égard, le texte de Tepthida Hay, "La complainte des nuits indiennes", est profondément marquant. Une princesse indienne (on parle ici de l'Inde) refuse le Sati, cérémonie qui consiste pour une veuve à mourir en même temps que son mari. Elle fuit et elle découvre alors d'autre "paria", moins humains en apparence mais peut être plus hommes dans leur coeur... Car ce que l'on rejette, ce que l'on refuse de comprendre, d'entendre, c'est souvent nous-même et en rejetant le loup, on rejette cette part de nous que l'on ne veut pas entendre...
Le crépuscule des loups est un ouvrage engagé et vibrant, dont le chant final nous est livré par Nicolas Cluzeau qui signe ici une nouvelle de fantasy se passant dans les steppes sur fond de chamanisme et qui est tout simplement un petit bijoux d'aventure et de sensibilité !
L'initiative de Charlotte Bousquet, avec l'aide des auteurs et des illustrateurs qui l'accompagnent (le génial Fablyrr qui signe cette couverture si belle) dans ce projet, doit permettre l'adoption de Hottah un jeune loup vivant dans un parc en Lozère. Preuve que tout n'est pas fini et que grâce à ceux qui se bougent et à ceux qui osent, les choses peuvent encore avancer. Preuve que l'écriture n'est pas qu'un voyage intérieur mais bien plus que cela, qu'elle peut s'engager, agir tout en nous offrant du rêve... Hottah ne trouvera peut-être jamais les mots pour remercier ces sauveurs, nous oui... Merci pour cette part de rêve et surtout merci à ceux qui s'engagent par la plume pour essayer de nous livrer un futur meilleur, même si c'est pas encore gagné...
Note : 8/10
Moyenne des votes : 8/10 (1 vote)
Le Cimmerien
A propos de ce livre :
- Illustration de Couverture : Fabien Fernandez. Illustrations intérieures : Fabien Fernadez, Jircé, Estelle Valls de Gomis.