Vampires

En s'enfonçant dans la nuit la plus profonde et la plus obscure, on en vient le plus souvent à contempler l'âme humaine dans son entier. La nuit, c'est bien connu, tous les chats sont gris et l'Homme, libéré de la lumière qui pourrait le dénoncer à je ne sais qui, peut s'adonner à tous les "péchés" et donc c'est dans ces instants nocturnes qu'il ouvre le mieux son coeur... C'est à mon sens l'une des thématiques fondamentales des vampires et c'est avec brio qu'Estelle Valls de Gomis la met ici en scène... Partir à la rencontre des vampires, c'est à la fois croiser des âmes torturées et aussi comprendre un peu mieux le genre humain dans toute son atrocité.
N'est-il pas écrit quelque part, le sang c'est la vie ? En observant ceux qui s'en nourrissent, c'est la vie elle même que nous observons. En observant les non mort, c'est nous même que nous voyons...
Cette anthologie publiée chez les éditions Glyphe est un vrai petit bijou, qui pour moi fera date ! Estelle Valls de Gomis, en choisissant les textes ici présentés, fait preuve d'ouverture d'esprit et nous propose un tout nouvel éclairage sur les ténèbres et ces créatures fabuleuses.
Cette anthologie s'ouvre sur une symphonie de la terreur, une texte antérieur au Dracula de Bram Stoker, malheureusement introuvable aujourd'hui en France, et dont la paternité reste plus ou moins mystérieuse, (James Rymer ou Thomas Prest) et qui porte le titre de Varney le Vampire. C'est ici les premières pages qui nous sont offertes et quelles premières pages ! Un orage, une nature déchaînée, un village rasé, des phrases longues au style fouillé et recherché... C'est un long travelling dans la nuit... C'est hallucinant de voir combien ces êtres dit contre-natures sont pourtant liés aux éléments naturels. Rappelez-vous par exemple la tempête dans le Dracula de Stoker. Ici, c'est à peu près la même chose. Un orage et alors dans la nuit survient un étrange personnage s'introduisant dans la chambre d'une pauvre fille pour se nourrir de son sang. Un orage qui rappelle les plus belles pages du roman noir et du roman gothique, mais aussi le Frankenstein de Mary Shelley et bien sûr la littérature dite romantique, mère de la plupart de ces romans. Cette nature déchaînée, sublimement mise en scène et précédant l'apparition du vampire, nous amène directement au thème de l'homme seul face à une nature étrange et inconnue, dont le paroxysme est bien sûr le vampire. Vision romantique mais au combien angoissante ! On voit ici la peur surgir, comme dans une symphonie où tout se déchaînerait et où rien n'est vraiment explicable...
En lisant Varney le vampire, on s'étonne du parallèle qu'il existe entre ce texte et celui de Bram Stoker. Mais, aussi, car nous sommes pétris d'image, nous voyons en lisant ces lignes écrite par la main d'un père inconnu (mais n'est-ce pas là le lot de beaucoup de vampires ?!), se dérouler devant nous un film de la Hammer et son décor gothique, ou bien encore Bella Lugosi drapé de sa cape, celle là même qu'il porta jusque dans la tombe. Bref, ce premier texte est un vrai petit bijou de noirceur, une découverte fabuleuse. Mais cette anthologie va bien plus loin encore... Loin, très loin des clichés !

Lorsque nous parlons de vampires, nous voyons généralement la cruauté, le monstre sanguinaire. Un être maléfique obligé de tuer pour se nourrir. J'aimerais que ceux ou celles qui ne se sont jamais interrogés vraiment sur le vampire et sur eux-mêmes, se plongent dans ce livre... Peut-être verront-ils ? Car, encore, le sang c'est la vie, n'est ce pas ? Continuons donc notre travelling dans ce monde d'ombre et de brouillard et nous arrivons très vite à une de mes nouvelles préférées, pour moi l'une des plus touchantes et surtout l'un des plus intéressants parallèles entre le vampire et nous qu'il m'ait été donné de lire : La soif de la glèbe de Franck Ferric.
Dans cette nouvelle, nous sommes plongés en pleine guerre, celle de 14-18. Nous sommes sous le feu ennemi entre Henri Barbusse (le feu) et Erich Maria Remarque. Les obus pleuvent, la boue et les rats ont envahis les tranchées. Le héros qui tient son journal est blessé, mais en temps de guerre personne ne peut être inactif, alors il devient le fossoyeur de ses camarades. Et c'est dans la nuit, quand le feu de l'enfer guerrier se tait quelque peu, qu'il s'en va au cimetière enterrer ses camarades. Le sang coule et quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre... Le sang c'est la vie... Et cette vie elle coule là, sur cette terre d'Alsace et de Lorraine où l'absurdité humaine à conduit des jeunes gars dans une boucherie sans nom. Imaginez que tous ceux qui soient morts reviennent pour se venger de ceux qui leur ont fait faire une guerre... Dans ce cas, où est l'horreur : le vampire revenu ou l'homme guerrier ? Voilà le superbe parallèle écrit dans un style précis que nous livre la talentueuse plume de Frank Ferric. Un chef-d'oeuvre que cette nouvelle, poignante et saisissante !
Cette nouvelle de Frank Ferric voit son prolongement, dans un autre texte, écrit par un monsieur que tout amateur de vampire se doit de connaître : Jean Marigny (il signe aussi la préface de cette anthologie). Cette fois-ci, c'est encore une mort brutale qui empêche une âme de rejoindre l'au-delà, une exécution faîte par des nazis. Enterré, l'homme revient... Mais revenir d'entre les morts, être un vampire, c'est aussi ne plus reconnaître les siens, c'est être vivant sans toutefois pouvoir l'être pleinement. Pour avoir eu l'occasion de discuter avec certaines personnes revenues des camps de la honte je crois que pour certains c'est un peu ce qu'ils ressentaient... Encore une fois, où est l'horreur ici : le vampire ou l'homme ? Dans ces deux nouvelles, les vampires ne sont plus des dandys en goguette mais bien les morsures de l'histoire, les dents du passé. Et le passé a les dents longues et il fini toujours par nous rattraper. Comme un vampire, comme s'il ne pouvait y avoir que les immortels pour se rappeler vraiment. Deux nouvelles, deux chef-d'oeuvre qui viennent bousculer l'univers du vampirisme et donc le nôtre...
Mais lorsque l'on convoque l'histoire, on en vient forcement aussi à convoquer la politique. Cet honneur revient à une auteure que j'aime tout particulièrement, Lucie Chenu. Ne croyez pas qu'elle nous livre ici une thèse ou je ne sais quoi sur la notion de pouvoir... Non, loin de là. L'auteure balaie d'une écriture élégante (et non dénuée d'un certain humour) le mythe de Sissi, la "gentille" impératrice. Et oui, si celle qui fut immortalisée sous les traits de Romy Schnieder n'était en réalité qu'une vampire ? Alors, quand elle rencontre le président français, Felix Faure, forcement ça ne peut être qu'intéressant ! On comprend mieux alors les arcanes et les zones d'ombres qui habitent la politique. Le vampire se cache et traite secrètement des affaires d'état n'est-ce pas ? Faut-il y voir ici un message dissimulé de la part de l'auteur ? Je ne sais pas... Mais je vous conseille cette nouvelle que j'ai pour ma part vraiment aimé, car encore une fois, on est loin du mythe traditionnel et le sujet mis en lumière par Lucie Chenu est plus qu'intéressant...
Il est une autre auteure qui vient ici convoquer l'histoire et les vampires, une auteure au style sublime qui ressuscite ici le vieux Venise, mais pas ce Venise des amoureux, propre et beau. Non, une ville où le crime règne et où parfois les femmes et la magie sont bafouées. La nouvelle de Charlotte Bousquet, une nouvelle fois ne nous entraîne pas à la suite d'un simple vampire sanguinaire. Non, ici la vampire vient venger "certaines" femmes de la cité que le pouvoir et la religion ont tué. Alors, dans une église où elle vient se confesser, cette vengeresse vient rendre le sang pour le sang. Vous l'aurez compris, la plupart des nouvelles mettent ici en lumière des vampires qui sont le reflet, eux qui n'en n'ont pas, pauvres créatures à qui l'on ne veut pas prêter d'image, de l'âme humaine, une âme sale et souvent monstrueuse. Encore un petit bijoux, comme tous les textes de cette anthologie ! Avec Charlotte Bousquet c'est une histoire de femme, comme celle de la comtesse Bathory, accusée à tort peut-être, jugé coupable d'être une femme ! Et toutes ces horreurs ce n'est pas le vampire qui les commets, mais l'homme !
Cependant, il est une autre vision qui ressort très fortement dans cette anthologie, c'est la tentation. Car le vampire est le tentateur... Il est cette "chose" belle et immortelle et qui n'a jamais rêvé de cela ? On dit le repos de la tombe, mais est-ce vraiment un repos ? Une nouvelle illustre parfaitement cette absurdité du silence mortel, c'est celle de Maupassant, La morte. Combien d'entre nous sont prêts à mourir, à se dire que tout va s'arrêter ? Tout ce que nous vivons, tout nos souvenirs, tout cela il va falloir le quitter pour le grand nulle part. Et si les morts refusaient cela et qu'il se réveillaient ? Voilà comment Maupassant, un des auteurs que j'admire le plus, traite ce sujet, avec cette maîtrise inégalable de l'art de la nouvelle. Après avoir lu ça, forcement, vous vous dîtes que l'immortalité est bien tentante. Belle comme un bijou... La tentation, disais-je, est donc l'un des thèmes de cette anthologie et qui revient au moins dans trois nouvelles : Le legs (Tonie Paul), Conscience minéral (Geraldine Blondel) et Parure de nuit (Caroline Gaillard).
Dans la première, une jeune femme hérite d'un collier mais il est clairement stipulé dans le testament qu'il n'est pas possible de le porter sinon c'est la mort. Ici, le vampire, c'est le collier, car le mettre, cet objet si beau, sans prix, comporte des risques et le beau bijou peut vous sucer le sang. La jeune fille résistera-t-elle à la tentation ?
Dans la seconde nouvelle, il s'agit du contrechamp de la précédente, car pour une histoire presque similaire, c'est le "cailloux" que l'on arrache de sa terre natale et de son élément premier, sans rien lui demander et sans respect, qui devient le vampire, le tentateur encore une fois. Rappelons que le tentateur a bien sûr aussi une connotation de diable. Mais est-ce la faute du diable si l'homme ne peut résister à ses pulsions premières, si il veut tout sans se soucier du reste ? C'est exactement ce qui est superbement mis en scène dans la nouvelle de Caroline Gaillard, où une jeune fille pourrie gâtée serait prête à tuer pour obtenir une simple parure couleur renard. Vous voyez ici combien le vampire est multiple et combien cette anthologie est précieuse, revisitant le mythe et lui offrant un nouvel éclairage où ce n'est plus la créature qui est le vrai danger, mais l'homme. Car dans la nuit, quand la conscience s'endort, les monstres naissent et c'est l'homme qui les crée !
Avec cette anthologie sur les Vampires, Estelle Valls de Gomis porte un éclairage nouveau sur le vampire qui n'est pas uniquement le monstre sanguinaire que l'on croit. J'avais vraiment aimé la première anthologie qu'avait publié les éditions Glyphe, (Pro)créations, car Lucie Chenu avait fait preuve d'une ouverture d'esprit et avait réussi à mélanger les genres et les styles. Et bien c'est à nouveau le cas ici. Chaque texte propose une nouvelle vision du vampire, à la limite science-fictive chez Meddy Liggnier (Promenade d'immortel) entre mystère, fantasy et alchimie chez Denis Labbé (L'horreur s'effondre si bien) ou encore amour et passion chez Sire Cédric (Morte).
Rarement une anthologie sur le vampirisme aura été aussi passionnante, remplie d'idées et d'auteurs fabuleux, un choc entre les anciens (Maupassant, Mistral) et les modernes (Héloïse Jacob qui par exemple publie son premier texte ici. Un texte absolument superbe entre décadent et cinéma muet !). Pour moi Vampires fera date dans l'histoire des anthologies francophones et je crois que tout passionné de vampires ou même de fantastique se doit absolument de posséder ce livre. Mais je crois aussi, que ceux et celles qui ne s'intéresseraient pas plus que ça au vampire, ou bien même à la littérature fantastique devraient aussi se plonger dans ce recueil ! Car il s'agit là certainement des plus belles pages qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps sur la littérature vampirique ! Un vrai petit bijou !

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Le Cimmerien



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