Interview Sire Cédric
Sire Cédric est un auteur à part dans la littérature fantastique francophonne, ceux qui ont lu son recueil de nouvelles
Déchirures, chroniqué dans nos pages, savent de quoi je veux parler.
Psychovision est fier de vous présenter sa deuxième interview, et pas des moindres, puisque le Sire a bien voulu répondre à nos questions. En le remerciant encore, bonne lecture à vous...
Bonjour Sire Cédric. Tout d'abord, merci beaucoup d'accepter de répondre à nos questions pour Psychovision !
Hello Cruisader, c'est un honneur de te revoir !
Bon, on a eu l'occasion il y a quelque temps de se rencontrer au Salon du Livre de Paris. Alors un petit bilan de ce salon et de ta virée parisienne ? (Par exemple par rapport au contact avec tes lecteurs, les retours éventuels sur tes écrits...)
Je dois dire que je me suis bien amusé. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de monde qui vienne me voir, avec leur livre sous le bras, tout ça. C'est assez vertigineux, ce genre de situation, et plaisant, forcément. J'ajouterai même que je ne pourrai rêver de meilleure récompense que ça. Que des gens qui ont aimé ce que je fais - et en plus qui vienne me le dire, les yeux pleins d'étoiles. Alors oui, un moment merveilleux.
Ensuite, je constate que chacun plonge dans mes histoires de manière différente, et y puise des choses vraiment diverses. Je suis donc, en même temps, éternellement surpris des réactions suscitées par mes humbles écrits. Il n'y en a pas deux pareilles. Certaines de ces réactions sont même plutôt excessives à mon sens, ce qui ne me déplaît pas, loin de là, mais m'intrigue toujours autant (rires).
Revenons-en maintenant à Déchirures, ton recueil de nouvelles paru chez les éditions Nuit d'Avril. Ces déchirures sont multiples, parfois extrêmement dures et cruelles. D'où te vient donc cette violence et comment l'expliquerais-tu ? Qu'apporte-t-elle selon toi à ton écriture ?
Mon écriture est le reflet de ce que je suis, et rien d'autre. Elle n'apporte rien, elle est juste là, en tant que telle. Elle est simple, paradoxale, outrée, jouissive. Pleine de violence en effet, une violence comme on rêve, esthétique, jamais crue. Enfin je crois.
Déchirures propose une première approche de cet univers. Les nouvelles ouvrent, chacune à leur façon, une porte vers une pulsion, une angoisse ou au contraire un éclat d'espoir, de beauté. Elles portent toutes une teinte rouge car c'était cette couleur que je souhaitais poser en premier sur la toile. Je voulais commencer par le grouillement, l'hystérie, la rupture. Comme pour toute naissance.
Mais à côté de cette cruauté plane souvent chez tes personnages un profond mal-être qui les rend extrêmement attachants et qui les conduit presque à dégager une certaine forme de tendresse en nous les offrant telles des victimes. Comment construis-tu donc tes personnages ?
De la même manière : avec amour, si je puis dire. Chaque être humain est torturé, que l'on se l'avoue ou non. Et mes personnages sont, tous, très humains. Ils sont nés le plus naturellement du monde, sans que je n'aie eu besoin de réellement les inventer. Tous autant qu'ils sont, ils vivent, ils font - littéralement - ce qu'ils souhaitent, parfois en dépit de ce que j'aurais préféré qu'ils fassent, et cela donne des structures peut-être bizarres. En tout cas, toujours calquées sur le mouvement des rêves, donc j'espère naturelles. Tous ces personnages sont à la fois une partie de moi, et de l'étoffe dont sont faits les songes. Déchirures m'a permis de les présenter les uns après les autres, comme une série de portraits, de tranches de vie, car tous ces (étranges) individus réapparaîtront plus tard. Ils traversent peu à peu des épreuves qui les façonnent, et - à mes yeux en tout cas - cela les rend très attachants !
Nous parlions justement plus haut de "victimes", à tort ou à raison d'ailleurs, et en tant que lecteur on parvient aisément à envisager tes personnages comme des victimes malgré elles (et en dépit de leurs fautes) d'une société sans pitié qui les écrase et les détruit. D'où un sentiment d'engagement sincère qui se dégage de ton écriture, par exemple un engagement contre le racisme, contre le christianisme mais aussi en faveur de l'écologie. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Disons que j'ai une écriture viscérale, ou en tout cas onirique, par opposition à une écriture intello, qui réfléchirait sur les maux de l'humanité et s'engagerait pour tout - et surtout n'importe quoi. Cette approche me fait gerber, elle ne sera jamais la mienne. Tout ce que j'ai à dire se retrouve donc dans mes histoires, de la manière que je souhaitais l'exprimer, et pas autrement. Ce qui se passe ensuite se déroule uniquement dans le coeur du lecteur. Il y trouvera ce qu'il a en lui, je suppose.
Et puis je crois aussi que chaque chose que nous faisons, chaque regard, chaque pulsation de nos artères, portent en eux notre vision personnelle des choses. Il y a donc beaucoup de choses passionnées dans ces Déchirures. Ce qui m'intéresse, à l'origine, c'est justement de travailler sur cette énergie qui palpite en nous, de puiser dans la matière du fantasme brut.
Ceci étant dit, je ne suis pas là, en aucun cas, pour donner des leçons. Ce serait prétentieux, et le meilleur moyen d'être gravement à côté de la plaque. Ce que j'écris est juste cela, des textes, des tableaux, faits de chair, de feux d'artifice parfois. J'essaie d'apporter un peu de rêve aux lecteurs, et voilà tout.
Tu dédies une de tes nouvelles, "Nocturnes", à Poppy Z. Brite et "Deathstars" est, selon tes propres dires, écrit sur divers groupes de métal. Tu l'auras compris, on souhaiterait donc en savoir un peu plus sur tes diverses sources d'inspiration, auteurs, musiques, lieux, personnes...
J'écris sur ce que connais, et à ma manière personnelle. À de (très) rares exceptions près, je m'efforce de ne jamais nommer les lieux, ni les époques, ni de donner de noms aux monnaies échangées par mes personnages, de sorte à me brancher sur les pulsions et non pas les détails datés ou bien trop définis. Ce qui, j'espère, n'empêche pas de créer des images très précises. Cela peut sembler paradoxal dit comme cela, mais c'est toute l'essence de mon travail (rires).
Cette énergie, que je cherche, est d'ailleurs particulièrement présente dans la musique : une texture sonore va puiser directement dans nos tripes, sans qu'on comprenne les mots, sans qu'on sache forcément d'où vient cette vibration. C'est l'idée.
Le rock'n roll a toujours fait cela avec brio. La nouvelle "Deathstars" à laquelle tu fais allusion est une nouvelle humoristique et quelque peu hystérique. C'est pour ça qu'elle est accompagnée par la musique punk / satanique du groupe Impaled Nazarene. Ça me semblait aller de soi.
Pour le reste, j'écoute tout ce qui me plaît, c'est-à-dire des choses très diverses. À l'instant c'est le dernier Emilie Simon qui passe sur mon lecteur. Sur ma playlist suivent un live de DeVision et le dernier album de Rob Zombie.
Et en ce qui concerne l'avenir, as-tu actuellement des projets en préparation ? Vu que certains personnages sont récurrents dans tes nouvelles (Mania et Lona par exemple pour notre plus grand plaisir), peut-on s'attendre à en retrouver prochainement l'un d'entre eux ?
Dans mon roman Angemort, qui sortira à la rentrée, on retrouve Jad. Il se déroule des années avant la nouvelle "Blood-Road". Bien que cela ne soit réellement indiqué nulle part, il est évident à la lecture que l'action se situe quelque part en Italie. C'est un roman de série B plein de catastrophes, de jets de sang, et d'images surréalistes, à la fois très classique et complètement délirant donc. J'espère qu'il plaira aux lecteurs autant que Déchirures !
Dernière petite question, quels conseils pourrais-tu apporter à un jeune auteur désireux de suivre tes traces ?
De ne surtout PAS suivre les traces de qui que ce soit, et surtout pas les miennes (rires). Soyez vous-mêmes. Croyez en votre propre magie. N'obéissez jamais.
Merci beaucoup Sire Cédric !
Merci à toi, Cruisader, et rock'n roll !
Interview réalisée par Cruisader