Déchirures
Sire Cédric trempe un peu sa plume dans l'encre noire émeraude d'Anne Rice, dans l'encre rouge écarlate de Poppy Z.Brite, mais l'encrier de jade qui doit être posé sur son bureau, au milieu d'une pile de Cds de metal, est bien à lui.
Chez Sire Cédric, il n'y a pas la préciosité de la créatrice du cycle des vampires le plus lu au monde, ni les troublantes violences souvent présentes dans la prose de Brite. Mais attention, le style est direct, incisif, thrash. Que les choses soient claires : ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains, il se veut dérangeant et même choquant (saviez que des petits garçons de douze ans pouvaient violer leur maîtresse !!!). Cependant, de toutes les lectures francophones que j'ai pu faire ces dix dernières années, Déchirures, recueil de nouvelles, est celui qui m'a le plus marqué, le plus emballé, et je crois que Sire Cédric est le meilleur espoir dans la catégorie horreur et macabre de notre beau pays.
Déchirures multiples, provocantes, qui naissent souvent d'un viol, d'une mutilation, d'une agression terrible. La déchirure chez l'auteur est une cicatrice comme dans "Nocturnes" ou une jeune fille crucifiée accouche d'un démon rencontré dans une boite de nuit gothique. Le monde que décrit Sire Cédric vous explose en pleine figure, il fait mal, traumatise. Rien ni personne n'est épargné. Tous des salops, du plus petit enfant capable de viol en passant par le père violent et fou, jusqu'à ces stars du rock, démons atroces qui se foutent bien de leurs fans du moment qu'elles peuvent les voir s'entretuer.
Noires et sombres, les pages diaboliques de Sire Cédric vous dévorent l'âme et pénètrent tel un acide dans votre coeur et font mal, très mal. Ici, la nature de l'homme est foncièrement mauvaise, pas de Dieu pour lui pardonner ses péchés, pas de femmes pour l'aimer, notre monde est une atroce suite de viols (il y en a beaucoup dans l'oeuvre de Sire Cédric) et de douleurs. Il n'y a pas d'amour dans ces déchirures car l'auteur plonge sa plume dans ce qu'il y a de plus animal dans l'homme. Même entre soeurs jumelles on se tue, on se bat et on se violente.
Déchirures, oui, car les voiles, les robes et la peau même ici, ne se caresse pas, ne s'embrasse pas, elle se déchire, elle se mord. Mais s'il est un voile qui vacille c'est bien celui de l'illusion. Car en fin de compte, j'ai plutôt tendance à croire l'auteur : ce monde est dégueulasse. Ne suffit-il pas d'allumer sa TV à 20h00 ou bien son journal à la page fait divers pour trouver le genre de méfaits que nous décrit le triste Sire ? Bien sûr me direz-vous l'oeuvre de Sire Cédric est teintée de fantastique, d'horreur imaginée, peuplée de vampires, démons et autres bêtes maléfiques.
Mais le fantastique, comme la SF, ne sont jamais aussi beaux que lorsqu'ils s'engagent. Car la plume de l'auteur ne trempe jamais dans l'encre de la suffisance, dans l'idée que tout ça n'est que littérature et autre effet de style. Les images fantasques et horribles qu'utilise Sire Cédric s'engagent et engagent notre réel. Dans "Hybrides" c'est le christianisme lui-même qui est pointé du doigt, le massacre des indiens. Dans "Deathstars" c'est le star système qui quelque part est mis au ban des accusés, de ces stars délirantes qui n'ont qu'une envie, c'est pomper l'argent (le sang) de ceux qui les écoutent.
Dernier exemple, et qui est à mon sens le plus probant et aussi la meilleur nouvelle ici publiée, "Stigmates" où un homme, après avoir été violenté par un groupe de Skinheads, se trouve obligé de vivre toute sa vie avec une croix gammée gravée avec un couteau SS sur le dos. Imaginez cet homme qui ne peut se dévêtir devant une femme et qui ne se supporte plus, obligé presque de vivre en reclus, traumatisé. La question ici posée, évitant d'ailleurs toute démagogie et écrite sur un mode qui reprend l'horreur et le gore, c'est de savoir ce que nous ferions à notre tour si nous avions un jour à vivre avec ce genre de régime politique ignoble. Pour ma part je vivrais reclus dans la peur...
Voilà où nous mène la plume de Sire Cédric. Bien sûr, il s'agit de nouvelles horrifiques mais l'auteur ne cède en aucune façon aux effets pour les effets, au trash pour le trash comme c'est trop souvent le cas. Les amateurs que nous sommes de ce style se régaleront à plaisir mais il y a bien plus que cela encore sous la plume de Sire cédric. Il ne s'agit pas uniquement de spectacle pour le spectacle. C'est une oeuvre forte que nous propose ici Nuit d'Avril, une oeuvre comme on en lit rarement, belle, violente et intelligente. Une vraie merveille qui brille de noirceur, un rare joyau violent...
A ne pas mettre entre toutes les mains mais à lire à tout prix.
Note : 9/10
Moyenne des votes : 9/10 (1 vote)
Cruisader