Interview Estelle Valls de Gomis
Il y a quelque temps, je vous parlais d'une
anthologie sur les Vampires publiée par les Editions Glyphe. Une anthologie fabuleuse, originale et aux textes variés et superbes ! Estelle Valls de Gomis, directrice de cette anthologie a accepté de répondre à nos questions. Forcement on y parle de vampires, de XIXème siècle et aussi des
Gentlemen de L'étrange...
Bonjour Estelle, et tout d'abord merci à toi de bien vouloir accepter de répondre à ces quelques questions. Tu sembles déborder d'énergie et multiplier les activités : auteure, dessinatrice, éditrice et maintenant anthologiste ! Comment arrives-tu à gérer tout cela ?
Bonjour et d'abord merci à toi et à l'équipe de Psychovision !
Je crois que je n'y arrive plus tellement en fait (je vieillis), je suis obligée de donner la priorité à certaines choses et d'en délaisser d'autres, cela dépend des activités et des moments, mais en ce moment je me concentre surtout sur la maison d'édition, tout en essayant de ménager quelques "plages" de libre pour l'écriture et l'illustration de temps en temps (et comme mon travail d'éditeur est entièrement bénévole et que c'est à peu de choses près pareil pour ceux d'écrivain et d'artiste, je dois également ménager du temps pour des travaux "alimentaires-qui-font-des-sous", autant dire que le temps me manque).
Rentrons dans le vif du sujet, c'est-à-dire la superbe
anthologie vampires que tu as dirigée pour les éditions Glyphe. Comment es-tu arrivée sur ce projet ? Quelle en est la genèse ? Car je dois t'avouer que je suis toujours surpris de voir de nouvelles choses publiées sur le vampire...
Le vampire est un thème qu'on peut "re-sucer" ad vitam je crois ^_^
On a beau avoir tout vu, tout lu, tout écrit sur lui, il fascine toujours et on en veut toujours davantage, quitte à revenir sur ce qui a déjà été fait afin de tenter de retrouver la saveur magique qui a fait qu'on y a pris goût au départ.
Bref, cette anthologie sur les vampires (ainsi que deux autres anthologies : Dames Baroques et Petite Anthologie de l'Imaginaire qui paraîtront en 2008 et 2009 chez Le Calepin Jaune Editions) existe depuis 2004 - elle est née pratiquement en même temps que ma première anthologie, Trésors, qui était parue chez l'Oxymore en 2005. Le Fantastique des Fétichistes, qui devait paraître chez Les Belles Lettres avant que leur section "fantastique" ne s'arrête, date de ces eaux-là également. Vampires a fait du chemin pendant ces années, des auteurs sont même venus s'ajouter au sommaire en cours de route, et finalement ayant vu que les éditions Glyphe montaient une collection spéciale : Glyphe Imaginaires (dirigée par l'excellente Lucie Chenu que tu connais) j'ai soumis le manuscrit. C'est surtout l'éditeur de Glyphe lui-même qui s'en est occupé puisque Lucie avait un texte dedans et ne pouvait donc pas avoir son mot à dire dans le choix, et les textes et le sujet lui ont plu, et ça s'est enfin décidé. Je dois dire que je suis très contente que ce soit sorti chez Glyphe, c'est une maison honnête et prometteuse et je peux te dire que c'est rare de trouver des gens stricts et sérieux comme eux dans ce métier.
Comme je le disais dans la question précédente, je suis toujours surpris de voir publiées de nouvelles choses sur les vampires. J'ai parfois l'impression qu'on a tendance à se répéter sur le sujet et qu'il devient de plus en plus difficile d'être original et novateur lorsque l'on aborde cette figure mythique. Pourtant, l'anthologie offre un nouveau visage aux buveurs de sang. Il devient souvent un symbole de l'envie de possession de l'homme, de sa convoitise, voire de sa bêtise (je pense au texte de Franck Ferric ou bien à celui de Jean Marigny) ou bien encore le vampire devient ici la tentation, ce qu'il ne faut pas toucher, une sorte de fruit défendu. Est-ce vraiment la vision que tu as voulu donner du vampire dans cette anthologie ou bien est-ce moi qui me fourvoie dans une mauvaise interprétation ? Comment as tu sélectionné les textes ?
Je les ai d'abord sélectionnés pour leur qualité sans avoir en tête la recherche d'une originalité particulière, mais il se trouve que, les auteurs étant très bons et très inspirés, les textes étaient originaux d'entrée.
J'ai quand même cherché à en avoir quelques uns qui gardent la trame classique, parce que je dois t'avouer que je n'aime rien tant que les vampires traditionnels, mais j'ai pensé aussi qu'un peu d'originalité sur le sujet ferait du bien à tout le monde.
Il y a une constante qui revient tout le temps chez toi et qui semble être ta "marque de fabrique", c'est le XIXème siècle. C'est l'époque de tes
Gentlemen de L'étrange par exemple, de beaucoup de tes nouvelles publiées aux éditions Nuit d'Avril et aussi ce qui constitue la majeure partie des textes d'une autre anthologie que tu viens de publier (chez Le Calepin Jaune), Le Fantastique des Fétichistes. D'où te vient cette fascination pour ce siècle, que l'on retrouve donc dans tes choix de textes mais aussi dans ton style ?
Je ne sais pas exactement d'où me vient cette fascination pour le 19ème, sinon peut-être de mon habitude de lire des histoires ayant été écrites à cette époque. En tout cas je ne peux pas m'en passer, c'est là que je vais naturellement lorsque j'écris et aussi lorsque j'arrive à trouver le temps de lire, même si j'aime bien varier les époques, ma préférée c'est le 19ème, probablement parce que c'est une période qui conserve l'élégance du passé (beauté de l'art, de la littérature, etc.) tout en étant moderne (psychiatrie, photo, cinéma, etc.).
Puisque l'on est dans le XIXème, je voudrais revenir sur ce texte qui ouvre l'anthologie, Varney le Vampire. Un texte pour moi assez mystérieux... Tout d'abord qui en est vraiment l'auteur, on ne le sait pas vraiment, James Malcom Rymer ou Thomas Preskett Prest ? Je ne sais pas si tu peux nous en dire plus sur le sujet. De plus, ce roman, puisque ici il ne s'agit que d'un extrait, semble être antérieur au Dracula de Stoker et pourtant moins connu, introuvable en Français... A ton avis, pourquoi ? Quel place occupe-t-il vraiment par rapport à la littérature vampirique ? Pourquoi avoir choisi de mettre ce texte en premier ? Et pourquoi pas le Lord Ruthven de Polidori (l'un des premiers textes vampiriques connus) ?
Tout ce que je sais de Varney c'est qu'il est d'abord paru sous forme de feuilleton (on appelait ce genre de publications des "Penny Dreadful" : les feuilletons "pas cher qui font flipper" ^_^) vers 1847 (effectivement antérieur à Dracula et probablement l'une des sources d'inspiration de Stoker entre autres). On n'a pas pu déterminer qui des deux auteurs (ou d'un autre peut-être) l'a réellement écrit, il est probable qu'ils aient été plusieurs d'ailleurs vu le principe feuilletonesque.
Si le livre est moins connu je ne sais pas de quoi ça vient, peut-être, vu la forme sous laquelle il était d'abord paru (tu sais comme les gens sont parfois), d'un mépris pour ce genre de littérature qui l'a poussé dans l'oubli, et puis peut-être aussi que n'est pas Dracula qui veut. C'est dommage qu'on ne le trouve pas en français, mais je crois qu'une association vampirique travaille à sa traduction complète donc peut-être qu'un de ces jours il réapparaîtra. Moi j'avais traduit cet extrait pour une antho d'Oxymore à l'époque, mais la maison n'existant plus, il s'est trouvé réutilisable et comme c'était dommage qu'il ne soit plus disponible, il a trouvé naturellement sa place dans l'anthologie Vampires de Glyphe.
Pour tenter de répondre à ta question, Varney occupe une place importante par rapport à la littérature vampirique parce qu'il fait partie justement des pionniers, qu'il est rare, qu'on a envie de le (re)découvrir et peut-être de frissonner à sa lecture ^_^
Je n'ai pas choisi le texte de Polidori car on le trouve à peu près partout dans les anthologies vampiriques et même édité seul ou dans d'autres compilations de textes en français, donc il est plus facilement accessible... puis le côté "horreur" est plus poussé dans Varney, c'est ce que je recherchais aussi pour équilibrer le choix des textes.
Voilà pas mal de temps que tu t'intéresses au vampire, tu as même fait des études universitaires entièrement autour de cette figure. Quel est le premier vampire que tu aies rencontré et qu'est-ce qui t'a autant fasciné dans la figure du non-mort ? Avec le temps, tu ne sembles pas te lasser et tu es toujours prêtes à entraîner tes lecteurs dans ces univers comme en témoigne d'ailleurs une des histoires des
Gentlemen de L'étrange où tu nous fait carrément rencontrer Bram Stoker. Quelle vision as-tu du vampire aujourd'hui, alors qu'il semble être partout et à la mode (pub, série TV, musique, etc.) ?
C'est amusant ça parce que je trouvais qu'on ne le voyait pas tant que ça depuis quelques années, et avant hier soir (pendant que je regardais "CSI : New York" je crois *rires*) j'ai justement vu une publicité toute nouvelle pour des biscuits d'apéritif mettant en scène des vampires.
Je vais te dire un truc : ça me gonfle quand je vois partout un sujet ou un thème ou même une personnalité ou un film qui m'intéresse, et en même temps ça me fait plaisir parce que je me dis que je profite aussi comme ça, de voir les choses qui me plaisent. Mais ma vision du vampire aujourd'hui c'est que pour moi le vampire typique, celui qui me plaît et que j'ai envie de voir dans les histoires et dans les films c'est le vampire à la Dracula, ou à la Lestat dans son côté "ancien". Mon vampire idéal est plutôt solitaire, se promène dans les rues désertes des villages, ou dans la nature, ou dans les ruines des palais du 18ème, et il est nostalgique. Il reste élégant et discret, quitte à manger des rats...
Ceci dit ça me plaît de découvrir ce que les autres font ou ont fait du vampire, comment ils le transforment, l'interprètent, c'est intéressant. Peut-être que moi aussi un jour je ferai des vampires modernes, mais je voudrais que même si ça arrive, ils gardent leur noblesse (de caractère, pas forcément de rang) et leur élégance.
J'en parlais dans la question précédente,
Les Gentlemen de L'étrange. Pour moi c'est un vrai chef-d'oeuvre, un petit bijou... Je me suis laissé dire qu'il s'agissait de ton livre le plus "personnel" et que certains personnages existaient vraiment ? Est-ce vrai ? Et qui sont ces vrais personnages ? J'ai comparé ton livre aux romans feuilleton publiés entre autre au XIXème siècle (encore !). Es-tu d'accord avec cela, est-ce une de tes sources d'inspirations ?
D'abord merci du compliment - c'est un coup à avoir la grosse tête ^_^, et je dois dire que j'ai vraiment beaucoup aimé ta chronique sur le livre !
Donc oui c'est vrai : c'est inspiré de deux personnages principaux que je connais bien puisqu'il s'agit de mon mari (qui "joue" Manfred dans Les Gentlemen) et de moi-même (je me suis beaucoup avantagée en me transformant en Wolfgang mais après tout, la littérature est là pour ça : on idéalise tout, y compris soi-même), quant à Ernest, nous avons réellement eu un souriceau blanc qui s'appelait comme ça, mais il était de taille normale et ne parlait pas (à part la télépathie que font les animaux avec nous) et il m'a appris beaucoup de choses, tout comme Dita, notre chien que nous avons depuis quelques années maintenant. Je peux aussi te dire que la fameuse statuette de Wilhelmine trône sur l'une de mes bibliothèques et qu'elle est fascinante.
Enfin, je pense que le fait que Manfred et Wolfgang soient inspirés de nous, c'est ce qui a permis de rendre les Gentlemen plus "vrais" : le lien entre eux est réel, les touches humoristiques que j'ai pu me permettre davantage ici que dans mes autres textes sont donc plus spontanées, certaines anecdotes que j'ai remaniées et romancées sont inspirées de choses qui ont eu lieu, bref, ça m'aide "d'être" Les Gentlemen, même si un écrivain "est" ou "vit" souvent ses personnages (quoique parfois pas du tout, on crée aussi des être totalement différents de nous, mais ici ce n'est pas le cas).
Le fait qu'il y ait beaucoup de nous dans les personnages est je crois ce qui fait que les lecteurs- qui à la base ne savent pas que c'est nous et nous connaissent très peu ou pas du tout - s'attachent à eux : ils sont fictifs mais leur base est réelle, et ça c'est un plus dans un roman ou une nouvelle, la vérité du personnage, ça lui donne de la consistance, même si à côté tout est complètement loufoque et inventé (je n'ai pas l'honneur de connaître Bram Stoker par exemple). Ceci dit l'inspecteur Mespin est fictif, tout comme Arpad Nocturnaeru, et pourtant ils sont "vivants" aussi...
Pour ta comparaison avec les romans-feuilletons du 19ème... j'ai dû lire trop de "penny dreadfuls" ... c'est vrai, je me suis inspirée de tout ce qui me plaît dans le 19ème : les romans, les ambiances, Stoker, Colette, Gautier, Conan Doyle, Féval, tous les écrivains de l'époque - du moins ceux que j'ai lus -, et aussi des réécritures du 19ème qui ont été faites, comme La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (la bédé, pas le film), un ami m'en reparlait d'ailleurs il y a peu, qui m'a en partie influencée pour son côté "oui, je peux moi aussi reprendre des "stars" des romans du 19ème".
Tu fais partie aujourd'hui de ces auteurs à double casquette. Un peu comme Franck Guilbert des éditions Nuit d'Avril... C'est-à-dire que tu es à la fois auteur et à la fois éditrice avec les Editions Le Calepin Jaune. Qu'est-ce qui t'a motivée à te lancer dans cette aventure éditoriale qui avait commencé avec un fanzine et qui maintenant publie des auteurs prestigieux tel que Charlotte Bousquet par exemple ?
Le plaisir de ce métier d'éditeur pour moi vient du fait que j'ai la chance de pouvoir permettre à des auteurs hyper-talentueux comme par exemple Charlotte Bousquet, qu'on ne voit pas assez souvent à mon goût, d'étoffer encore plus l'éventail de leurs publications (on compte aussi pour info Armand Cabasson, Jean Marigny, et plein d'autres très bons auteurs dans nos anthologies) et la joie de faire découvrir le travail d'auteurs un peu moins connus pour l'instant mais extrêmement doués (comme Léonor Lara, Lise N., Gérald Duchemin, Justine Niogret et d'autres) et d'illustrateurs et photographes géniaux (Nati, Fablyrr, Shannon Brooke, Alexandre Lamotte, Hérysis, etc.).
En dehors de ça, éditeur, c'est juste une collection de contraintes et de galères *rires* et donc la seule (puisque je travaille bénévolement) récompense - mais non des moindres - c'est de voir que de beaux livres voient le jour, qu'ils permettent aux auteurs, artistes et lecteurs de rêver, de prendre un peu de plaisir dans une vie quotidienne difficile. Puis en toute modestie, je pense que la qualité de nos publications, tant au niveau du talent des auteurs et artistes que du choix des travaux publiés, est largement au-dessus de tout ce qui se fait ailleurs en règle générale - je voudrais essayer de maintenir ce niveau.
Sinon en tant qu'auteur que te dire... publier ses propres livres dans sa propre maison est une solution de facilité, c'est pour ça que, en dehors des ouvrages très spéciaux comme Horizon Motel et
Les Gentlemen de L'étrange par exemple, je n'envisage pas de publier trop de mes propres textes ou images chez moi (sauf bien sûr lorsque les auteurs me demandent expressément de venir illustrer certains de leurs textes).
Voilà, il va être temps pour moi de conclure ce jeu des questions / réponses. Je te remercie de bien avoir voulu y répondre et de m'avoir accordé ce temps. Je vais donc te laisser le mot de la fin : as-tu par exemple une actualité ? Va-t-on pouvoir retrouver nos Gentlemen dans de nouvelles aventures ? Quelle est l'actualité du Calepin Jaune ?
J'ai de bons projets en cours, notamment un dont je suis très fière : un art-book de mes illustrations, qui ne contiendra que des inédits réalisés pour l'occasion, intitulé Le Boudoir aux Végétales qui sortira chez CDS Editions (une jeune maison très prometteuse qu'il faudra suivre de près) courant 2009, quelques textes dans diverses anthologies et probablement fanzines, un roman mais je ne peux pas en parler pour le moment (superstition, quand tu nous tiens !) et la suite des
Gentlemen de L'étrange, intitulée Imago, que je suis en train d'écrire et qui est prévue pour 2009 chez Le Calepin Jaune Editions. J'ai cependant peur qu'elle soit un peu retardée parce que je n'ai absolument pas de temps pour écrire, j'espère d'ailleurs faire un break cet été pour m'y consacrer un peu.
Pour Le Calepin Jaune Editions et son actualité, on sort début juillet (ils étaient prévus pour juin mais on a, comme souvent, un peu de retard) deux ouvrages : l'anthologie de Charlotte Bousquet Le Crépuscule des Loups, qui réunit des nouvelles d'excellents auteurs sous une couverture magnifique de Fablyrr, puis Et toujours, le bruit de l'orage... le premier recueil de Justine Niogret, c'est vraiment une perle à ne pas manquer, et il est superbement illustré par Hérysis, lui aussi artiste impressionnant !
Pour septembre, on attend le recueil de poèmes et photographies de Lise N. Les Actes amanites et, peut-être un peu en retard, le recueil de photographies de pin-ups de Shannon Brooke, elles aussi de fabuleuses artistes, mais comme tu le sais, chez Le Calepin Jaune Editions, on ne publie que des génies ^_^
Merci à toi et à bientôt j'espère !
Merci à toi surtout.
Interview réalisée par Le Cimmerien