Interview Armand Cabasson
Il y a peu, nous chroniquions
Loin à l'intérieur d'Armand Cabasson, fabuleux recueil de nouvelles publié à l'Oxymore. L'auteur, avec gentillesse, a bien voulu répondre à nos questions et s'est aimablement prêté au jeu de l'interview.
Voici donc la première interview réalisée sur Psychovision livres et nous sommes fiers d'accueillir dans nos pages Armand Cabasson, talentueux nouvelliste mais aussi grand écrivain de romans policiers se déroulant sous le règne de Napoléon Bonaparte*.
Bonjour Armand, c'est la première fois que tes nouvelles sont publiées en un seul et même volume. Dix huit nouvelles admirables. En relisant ainsi ton travail littéraire j'ai trouvé qu'il s'inspirait énormément de ton autre profession, médecin, et plus particulièrement psychiatre. Partages-tu ce point de vue ? Quelle est la part du psychiatre dans l'écrivain ?
Merci pour tes compliments !
Effectivement, mon expérience de psychiatre exerce une forte influence sur mes écrits, et ce, à de nombreux niveaux. Parmi mes thèmes fétiches, on trouve la psychologie des personnages, la lutte contre nos démons intérieurs, la folie, la communication avec autrui et avec soi-même... Je prête aussi une très grande attention aux mots, ce qui est un point commun entre ces deux univers-frères, la psychiatrie et l'écriture.
Tes personnages sont très attachants, car ils sont victimes et en même temps aussi coupables. Je pense en disant cela au personnage de Cassées comme du bois vert qui devient en quelque sorte criminel pour sauver son amour, la jeune Leigh, des griffes d'un beau-père brutal. Et je trouve que ce genre de personnage est très présent dans ton oeuvre, ce qui donne un côté très humain aux personnages que tu décris. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces personnages ?
Je ne supporte pas les personnages clichés ou transparents. Chacun est unique. Il m'arrive de mettre en scène des personnages (le mot de "héros" est trop réducteur) ambivalents, ambigus, rongés par leurs contradictions... Mais plus encore, j'essaie de comprendre pourquoi tel ou tel personnage en est arrivé à se comporter ainsi, ce qui l'amène à se lancer dans une action lourde de conséquences, comment il lutte contre ses démons intérieurs... J'essaie de me pencher sur les motivations profondes des êtres. Là encore, psychiatrie et écriture se mêlent.
Puisque nous parlons des personnages, il y a quelque chose qui m'a énormément marqué aussi dans l'ensemble de cet ouvrage, c'est ta façon de parler de la femme. Tu as une manière très touchante de la décrire, d'expliquer ses difficultés dans la vie de tous les jours, dans l'imaginaire aussi. Dans Le complexe de Pandore, une de mes nouvelles préférées, c'est un véritable cri que pousse la femme, un cri contre l'injustice des contes, des légendes et du quotidien qui ont souvent tendance à voir en la femme une créature soumise, tentatrice voire démoniaque. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce point dans ton œuvre ?
Je suis heureux que tu soulèves ce point. Oui, j'ai une haute opinion de la femme. Dans mes textes, les femmes sont souvent des personnages forts, charismatiques. Suis-je un écrivain féministe ? Ah, je n'en sais rien... Que les lecteurs et surtout les lectrices répondent à cette question !
Denis Labbé, dans sa superbe préface, parle de Loin à intérieur comme d'un voyage dans notre inconscient. On ne peut qu'être d'accord avec lui. Mais il y a aussi le voyage tout simplement dans ce livre. Les Etats-Unis, le Japon, le voyage dans le temps aussi. Les voyages sont-ils quelque chose qui t'inspire? As-tu réellement visité tous ces pays, ou bien alors s'agit-il d'une documentation minutieuse ?
Oui, j'adore voyager (qui n'aime pas ?). Je vais très souvent en Grande-Bretagne (j'ai du sang anglais et écossais), ainsi qu'aux Etats-Unis. Je me suis également rendu deux fois au Japon (j'ai visité Tokyo, Nagoya, Kyoto, Nara, Himeji et Osaka), car ce pays me fascine depuis des années. J'y retournerai dès que possible !
Effectivement, les voyages m'inspirent beaucoup. En outre, j'aime beaucoup effectuer des recherches sur le terrain (je suis allé en Russie pour Les proies de l'officier, à Vienne pour Chasse au loup, je hante les châteaux médiévaux et les lieux victoriens, j'adore visiter des musées et des palais...).
A cela s'ajoute effectivement un immense travail de documentation, dans les livres, les magazines, les musées, durant mes voyages...
Vu les détails que tu donnes sur les combats, les armées, les stratégies, les armes employées dans le Japon médiéval par exemple, tu dois avoir visité bon nombre de bibliothèques pour arriver à un tel réalisme ! Et ce sentiment est décuplé quand on a lu tes deux précédents romans policiers, les Proies de l'officier et Chasse au loup, se passant pendant les campagnes napoléoniennes. Tu sembles accorder énormément d'importance au fait historique : comment parviens-tu à lier cela à l'imaginaire ?
Je ne ressens pas une "rupture" entre les différents genres littéraires. Dans les bestiaires du Moyen-Âge, on trouve dans les mêmes ouvrages des créatures fantastiques et des animaux bien réels, les licornes côtoient les lions et les chiens... Notre réalité est tissée de légendes, de mythes, de croyances... Les faits historiques peuvent se suffire à eux-mêmes tout comme ils peuvent s'associer harmonieusement avec le genre policier, avec l'imaginaire... Ce qui compte, c'est la cohérence générale de l'histoire, les raisons profondes qui amènent l'auteur à mêler l'historique et l'imaginaire, l'historique et le suspense policier...
Te reste-t-il d'autres nouvelles au fond d'un tiroir ou en cours d'écriture ? Aura-t-on encore la chance de te lire dans ce format ? A moins qu'il n'y ait d'autres projets en cours ?
J'ai encore quelques nouvelles auxquelles je tiens et que je garde en réserve en vue de constituer un recueil. En outre, bien sûr, je continue à en écrire. Oui, je travaille effectivement sur un autre recueil de nouvelles. Mais rien n'est encore définitif... On verra si ce projet se concrétise (en 2007 ?). Sinon, je travaille sur un nouveau roman.
Comment es-tu venu à l'écriture, quel fut ton déclic ? As-tu des auteurs qui t'ont principalement influencé ?
L'écriture est une passion qui remonte à de nombreuses années. Je ne me souviens même plus quand cela a commencé. Il n'y a pas eu de "déclic". Je me suis spontanément mis à écrire, de plus en plus souvent. Au début, je n'écrivais que pour moi. Puis, petit à petit, le désir d'être lu, de voir ces textes exister par eux-mêmes, a pris de plus en plus d'importance.
Je ne peux pas dire quels auteurs m'ont influencé. C'est une question classique mais toujours aussi insoluble pour moi. Tantôt je réponds "aucun", tantôt je cite 20 noms en ayant l'impression d'en oublier les trois quarts... Ce que je peux dire, c'est que je lis énormément : des romans, des nouvelles, parfois des pièces de théâtre. Bien sûr, il y a des auteurs que j'estime, mais je m'oblige aussi à lire d'autres écrivains, afin de découvrir d'autres univers littéraires.
Pour finir quel conseil donnerais-tu à un jeune écrivain ? Envoyer tout de suite à des éditeurs ? Participer à des concours ? Commencer par les fanzines ? Et toi, comment as-tu débuté ?
Aïe, aïe, aïe... Je déteste donner des conseils. D'abord, parce que ce serait un peu arrogant. Ensuite, il ne faut surtout pas instaurer de "voie unique vivement conseillée" qui risquerait d'aboutir à une uniformisation de la littérature. Par pitié, pas de pensée unique ! Tous les chemins que tu proposes sont valables, et il en existe bien d'autres (voyager et accumuler des expériences pour enrichir son vécu, commencer par animer une rubrique littéraire...). Le seul conseil que je veux bien donner est celui-ci : il ne faut jamais se décourager ! C'est un conseil facile à donner mais très difficile à appliquer...
Et bien je te remercie pour le temps accordé. En espérant te lire bientôt.
Je te remercie moi aussi.
Interview réalisé par Cruisader
* Les proies de l'officier, Chasse au loup, La mémoire des flammes tous trois publiés chez 10/18 collection Grands détectives.