Vue en coupe d'une ville malade

Pas évident de critiquer ce recueil tant il est riche et varié thématiquement. Brussolo développe toujours des histoires se déroulant dans des univers très denses, et aucune de ces nouvelles ne déroge à la règle. Et ce ne sont pas tant des histoires qu'il nous conte, mais de véritables univers entiers qu'il crée, des nouveaux mondes qu'il explore ou des planètes qu'il invente. Il fait montre ici de son imagination et de sa fertilité sans égales. Il n'est pas de ces auteurs qui privilégient des textes court à la fin percutante, au contraire on le sent même parfois à l'étroit dans le format de la nouvelle, tant on aimerait plus en savoir sur ces univers merveilleux, fantastiques, oniriques et parfois cauchemardesques.
Le recueil nous invite donc à découvrir neufs univers qui sont à la fois très variés et tous typiquement brussoliens. Chacune des nouvelles se démarque par son originalité, et chaque fois on reconnaît immédiatement la patte de son auteur.

Ce qui lie ces nouvelles c'est bien sûr cette capacité incroyable à imaginer des mondes ou des univers de toutes pièces. Et qui sont toujours dotés d'une structure logique qui se voit régulièrement perturbée par une anomalie, une déviance. Comme un grain de sable qui vient bloquer la machine.
L'exemple le plus frappant c'est bien sûr la nouvelle qui donne son titre au recueil, où l'on suit les aventures d'un homme perdu dans une ville organique entièrement gérée par ordinateurs. Les machines aménagent les appartement en fonction des besoins supposés de leur propriétaires. Et ils créent chaque fois de nouvelles pièces plus adaptées au fur et a mesure que le temps avance et que les conditions extérieures évoluent. Mais imaginez que, comme atteints d'un cancer, les ordinateurs se mettent à dégénérer, anticipant des conditions apocalyptiques et adaptant toute la ville à ces nouveaux besoins. Des appartement de plus en plus invivables se creusent dans le sol, à partir de matériaux tirés d'appartements précédents.
Le lecteur est plongé dans univers complexe et fou. Mais jamais il ne se perd, sans cesse guidé par la narration très efficace de Brussolo. Le lecteur progresse lentement découvrant chaque fois de nouveaux aspects de cet univers fascinant. La construction de l'histoire suit chaque fois des personnages qui tentent de s'adapter aux mondes incroyables dans lesquels il évoluent. Et si ce n'est pas une ville dégénérescente, c'est un immeuble immense où tout les habitants sont condamnés à l'immobilisme, reliés les uns aux autres par leur cordon ombilical (La mouche et l'araignée) ; Ou un monde gouverné par une secte qui vénère la mouche tsé tsé pour sa capacité à plonger l'humanité dans une léthargie profonde (...de l'érèbe et de la nuit) ; Ou encore une société dictatoriale qui utilise la mémoire du corps pour torturer et tuer ses opposants (Mémorial in vivo)...
On remarque une autre constante, l'omniprésence de la chair, d'éléments organiques. Que ce soit une ville qui fonctionne comme un corps composé de cellules ou le bruit qui devient un véritable élément organique, ou encore simplement des corps humains poussés dans leur dernier retranchements, les récits du recueil traitent toujours d'une manière ou d'une autre de la chair. D'ailleurs la matière organique tiens une place importante dans toute l'oeuvre de Brussolo dans le domaine de la science fiction. On peut même dire que ce recueil constitue un recueil à le fois exhaustif et incomplet de l'oeuvre de Brussolo. Bien que chaque nouveau livre de lui soit un voyage inédit dans l'imaginaire, Vue en coupe d'une ville malade traite de tous les thèmes chers à son auteur : l'organique, l'imaginaire, les anomalies...
Mais derrière tous ces univers étranges se cachent souvent des éléments critiques, Brussolo utilise ici son imagination pour dénoncer une société qui se déshumanise de plus en plus, qui exerce sans arrêt des pressions sociales plus pesantes sur l'individu, qui interdit peu à peu toute originalité et pensée déviante... Dans le recueil comme dans toute l'oeuvre de Brussolo, les gouvernements sont souvent des entités lointaines et coercitives qui instaurent des lois absurdes, et les individus sont perdus dans une société qui les dépasse et les broie. L'humanité n'est bien souvent plus qu'un jouet victimes des conditions de vie terribles que son inconscience lui impose, quand elle n'est pas le sujet d'expériences secrètes des gouvernements.
Ainsi le lecteur découvrira ces mondes affreux ou tout bruit est proscrit et ou l'humanité s'amollit lentement dans le silence (Off), ou encore une île devenue le théâtre d'un massacre organisé par l'armée (Anamorphose ou les liens du sang)... Bien que le but premier du recueil n'est pas de taper sur notre société occidentale, ce sous texte qu'on perçoit entre les lignes ajoute encore plus de saveur aux écrits de Brussolo.
En somme ce recueil est idéal pour les néophytes, ceux qui n'ont encore jamais lu de Brussolo. Non pas qu'il soit le livre le plus abordable de sa bibliographie, mais à travers ces neufs nouvelles, l'auteur explore et développe tous les thèmes qui lui sont cher dans la science fiction. Bref Vue en coupe d'une ville malade est un excellent recueil, aux histoires qui développent un incroyable imaginaire et au thèmes très variés.
On se demande ce que l'éditeur attend pour rééditer ce recueil, qui n'est à présent trouvable que dans l'anthologie "Cauchemars parallèles" parue chez Omnibus...

Note : -/10
Moyenne des votes : 9,5/10 (1 vote)

Maniak



Avis des visiteurs :

- Un grand merci pour cette superbe chronique sur ce recueil "monstreux" dans tous les sens du terme. Je suis d'accord avec toi à 100 % et c'est vrai que tous ses thèmes de prédilections sont présents. Personnellement, c'est le premier Brussolo que j'aie lu et cela m'a mis une véritable claque... En plus, c'est tout de même un recueil assez ancien donc on est bien dans la construction de son univers, on pénètre vraiment dans la genèse de ses délires. Mention spéciale pour la nouvelle titre et La Mouche et l'Araignée. Cela va bientôt faire quatre ans que j'ai lu ces nouvelles et j'y pense toujours autant ! Un recueil formidable à lire absolument. Et oui, tu as raison, vivement une réédition... c'est un véritable gâchis que de se priver ou de priver de futurs lecteurs de cette lecture essentielle.

Note : 9,5/10 (Chaperon Rouge)

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