La Vie secrète de Laszlo, comte Dracula
(The Secret Life of Laszlo, count Dracula)
Voici un curieux livre, dont le contenu échappe au cliché invoqué dans son titre. Conçu comme un journal intime, il raconte la vie de Laszlo, depuis son arrivée à Paris en tant qu'étudiant à la Salpêtrière. On y croise Charcot, et on découvre l'engouement progressif suscité par ses expériences sur les hystériques. C'est en soi un cadre plutôt original, et qui donne toute latitude au déploiement du personnage de Laszlo, jeune hongrois plein d'enthousiasme dont la vie va prendre un tour inattendu au fil de ses rencontres. C'est d'abord Lothar qui révèle Laszlo à lui-même. Aristocrate oisif et terriblement cynique, il tente de rallier Laszlo à sa morale douteuse. Mais celui-ci est surtout, dans un premier temps, préoccupé par l'idée de séduire sa cousine Nichole, qu'il n'avait pas revue depuis dix ans. Entre eux, s'interposera vite la fascinante Stacia, une patiente de Charcot, une femme mystérieuse et fragile avec qui Laszlo connaîtra sa première liaison.
C'est donc sur une trame relativement banale que se tisse l'histoire de Laszlo, et c'est ce qui en fait tout le réalisme. N'importe quel étudiant qui un jour a dû quitter son foyer et se retrouver seul dans une ville inconnue, peut s'identifier au jeune médecin. De toute façon, c'est toujours sur les scénario les plus communs que se construisent les gens. Ce qui rend celui-ci intéressant, c'est qu'il est raconté de l'intérieur, par le biais de ce journal que Laszlo s'efforce de tenir, dans un souci de sincérité et de découverte de soi. Ses analyses sont toujours fines et honnêtes, et le regard qu'il porte sur lui-même dépourvu de complaisance. Laszlo est un personnage naïf, parfois arrogant, curieux de tout, enthousiaste. Au fur et à mesure des événements, il ne perd pas de son courage ni de sa franchise.
Le roman prend rapidement un tour très surprenant. Laszlo est de retour en Hongrie, et rouvre son journal pour la première fois depuis vingt ans. J'ai regretté que la coupure ne soit pas plus nette, d'un point de vue typographique. Certes, c'est un journal, mais puisque l'auteur a pris la peine de le découper en chapitre, il aurait pu également le diviser en deux parties. Là, on se sent d'autant plus floué d'une partie de l'intrigue.
Laszlo a repris le titre de son frère aîné, mort au combat. Il a épousé sa femme et gère les terres de ses ancêtres, dans une Hongrie très conservatrice, dépassée par la modernité. Il se met à séduire de très jeunes filles, et à les tuer. Toujours aussi franc, il regarde en face sa passion morbide et l'analyse tant bien que mal dans les pages de son journal. Il dérive insensiblement. Mais vers quoi ? C'est l'un des points forts du texte que de ne jamais révéler la nature exacte de Laszlo. Vu son nom, et puisque les rumeurs font état de ce genre de choses depuis des siècles dans ce coin des Carpates, on se dit que peut-être, Laszlo est un vampire. Mais l'auteur est psychiatre, et on a l'impression qu'il ne fait que décrire des faits, sans même prononcer de jugement sur la santé mentale de son héros. On comprend que le premier tiers du livre n'a fait office que d'introduction, que c'est sans doute là que se trouvent les racines du comportement de Laszlo. Mais c'est tout. Le livre est un journal, et en tant que tel ne peut contenir d'autre explication que celle de son auteur.
C'est en tout cas un livre enthousiasmant. Parce qu'il est ouvert, parce que son héros est attachant, et parce que l'écriture allie une certaine emphase typique du 19e siècle à un style plus personnel, dans des descriptions à la fois précises et courtes qui portent l'attention sur des détails, des attitudes, des sensations. Intrigues et personnages s'enchevêtrent dans un canevas que Laszlo ne maîtrise pas, qui semble parfois dépourvu de cohérence, mais qui rend à merveille la réalité d'une certaine Hongrie, à l'aube du 20e siècle. Cet exemple prouve, une fois encore, que Pocket Terreur n'a pas publié que de la "sous-littérature", et qu'au contraire ses auteurs savent autant manier la langue que les genres. Roderick Anscombe n'a certes pas écrit un chef-d'oeuvre, mais c'est son premier roman et c'est, sans conteste, une réussite, tant par le traitement de son sujet que par le soin porté au style.
Note : 7/10
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Kalys