Une Fille comme les Autres
(The Girl Next Door)
Une fille comme les autres est un roman d'horreur, mais pas un roman comme les autres. Sa lecture en est éprouvante, fascinante, dérangeante, presque malsaine. Pourtant, vous êtes poussés, page après page, jusqu'à sa fin, jusqu'à son atroce dénouement. Vous ne pouvez pas vous arrêter de lire : vous voulez savoir. Vous voulez savoir jusqu'où ira l'horreur et surtout, vous aimeriez comprendre pourquoi. Pourquoi et comment, lorsqu'on est une femme avec trois enfants, peut-on torturer une jeune fille de quatorze ans sous prétexte qu'elle-même est une femme et qu'elle doit comprendre l'horreur de son sexe, apprendre par la douleur à composer avec le funeste destin qui l'attend, fatalement putain et fille facile, future mère solitaire, dépressive et manipulée par les hommes.
Alors vous lisez, vous dévorez ce roman en vous raccrochant à David, seule once de lumière dans ces ténèbres, seule note d'espoir dans toute cette cruauté environnante à laquelle un adulte a donné accès. Mais vous enragez aussi, car David ne fait rien, il attend la suite ou choisi de ne pas voir. Cet adulte, Ruth, a donné le droit de le faire, alors pourquoi s'en priver, pourquoi ne pas enfin donner libre cours à ses pulsion de destruction les plus primales puisqu'on est encore des enfants et que l'on nous dit que ce que l'on fait est juste et bien ?
Une fille comme les autres est un roman terrifiant, mais terrifiant d'une horreur profondément ancrée dans le réel et dans le monde qui nous entoure, un monde dans lequel on préférerait parfois ne pas vivre. Car ce roman n'est pas fantastique, pas même la plus petite goutte de fantastique. Tout se qui s'y déroule est réel, vécu. Et d'autant plus vécu que ce livre est inspiré d'un fait divers qui se serait déroulé en 1965 aux Etats-Unis, même si Jack Ketchum a quant à lui préféré situer son action dans le New jersey des années 50. Une fille comme les autres est un vrai roman de terreur, un roman atroce, difficile à lire, difficile à supporter, comme le pire des films d'horreur. Un roman magistral par un auteur assez peu connu qui vous remuera jusqu'au plus profond de votre être. Une claque magistrale...
Megan Loughlin et sa petite soeur Susan viennent vivre chez les Chandler après la mort de leurs deux parents dans un terrible accident de voiture. Blessées tant physiquement que moralement, les deux adolescentes vont trouver refuge chez leur tante qui va désormais leur accorder son foyer. Cette tante, c'est Ruth, une femme débonnaire, aigrie contre les hommes mais charmante et pleine d'humour qui élève seule ses trois fils, Woofer, Willy et Donnie, une femme agréable et adorable avec tous les gosses de la rue. Ruth, c'est la mère peu contrariante et accueillante qui fume cigarette sur cigarette et offre en cachette et avec un clin d'oeil une bière aux garçons, le modèle de la femme sans problème chez qui on ne peut forcément que se trouver bien. Sauf que Ruth a pourtant un vrai problème : elle ne supporte pas les femmes et, au fond, se déteste elle-même.
Alors quand Meg va commencer à se plaindre de mauvais traitements et de manque d'amour, personne ne la croira : si elle s'est fait battre, s'est qu'elle avait sans doute fait quelque chose pour cela. Même David, le narrateur, tombé amoureux d'elle dès le premier jour ne saura entendre à temps son appel à l'aide et sera le complice passible des actes innommables que Ruth, ses enfants et tous les gosses du quartier feront subir à Ruth. Meg était une fille comme les autres, peut-être même un fille meilleure que les autres. Pourtant, elle va connaître l'horreur le plus noire et la cruauté la plus inimaginable. Il paraît que les enfants sont cruels. Alors imaginez jusqu'où ils sont capables d'aller lorsque la cruauté est autorisée par un adulte. Imaginez ce que peut ressentir une adolescente nue, enchaînée, et livrée aux caprices d'une bande d'adolescents qui ne réalise pas la portée de leurs actes et à une femme folle à lier, prêtes à toutes les tortures pour lui faire regretter d'être ce qu'elle est : une femme. Et imaginez enfin ce que peut ressentir sa petite soeur, forcée d'assister à toutes ces horreurs. Terrible, choquant...
Une fille comme les autres est un roman à lire à tout prix si vous vous en sentez le courage. Comme le dit si bien Stephen King, "ce roman ne se borne pas à promettre la terreur, il tient ses promesses". Comment peut-on franchir ainsi la limite qui sépare le fantasme et la réalité en matière de violence et de torture ? Comment peut-on assister au spectacle de la déchéance la plus totale sans réagir, sinon trop tard, lorsqu'on est pourtant un garçon au coeur bon comme David ? Comment peut-on se trouver aspiré dans cette spirale écarlate et accepter ensuite de continuer à vivre avec cela sur la conscience ? Au-delà de toutes ces questions, c'est aussi une excellente peinture de l'Amérique des année 50 qui nous est offerte par Jack Ketchum, un roman qui commencerait un peu comme l'attrape-coeur de J.D Salinger pour finir en snuff-movie...
Un roman qui commence tout doucement, tranquillement, au rythme d'Elvis Presley, des fêtes foraines, de coca colas bien frais, des clopes fumées en douce et des playboys lus en cachette. Une petite vie tranquille et sans histoire de banlieue sûre jusqu'à ce que la belle Meg fasse son apparition et libère malgré elle les pulsions les plus primaires en toute impunité. Et le pire dans tout cela, c'est le silence. Cette façon absurde qu'ont les gens de devenir aveugles à la détresse des autres, de devenir complice des actes les plus atroces par lâcheté, confort et faiblesse. David, c'est un peu l'être humain symbolisé, celui qui s'est toujours voilé la face tout au long de l'histoire, préférant ne pas réagir plutôt que de se trouver impliqué. Et à côté, il y a meg, sa dignité, son courage et son honneur bafoué. Une fille comme les autres est un roman difficile, certes, mais un roman intelligent qui donne à réfléchir sur la nature humaine. Le constat est affligeant. Et vous, qu'auriez-vous fait à la place de David ?
Note : 9,5/10
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Chaperon Rouge