Le Syndrome du scaphandrier

Quelque part au plus profond de nos rêves... Un lieu unique et éphémère pour lequel nous devons lutter afin de conserver quelques bribes de souvenirs, quelques infimes part de sensations. Un lieu invisible dont nous ne ramenons rien d'autre qu'une minuscule part ensevelie de nous même, un unique arrière-goût d'inconscient.
Pourtant, il en est tout autrement pour David car il possède l'étrange don de matérialiser ses rêves et surtout la faculté de les ramener avec lui dans la réalité : il est chasseur de rêves...
Chaque nuit ou presque il plonge, tel un véritable scaphandrier, dans les abysses de son inconscient et s'enfonce, par degrés comptés par des mètres, dans son imaginaire. Des degrés semblables à de véritables paliers de décompression qu'il ne doit pas franchir trop rapidement au risque de ne pouvoir résister à la pression résultant de la descente au plus profond de lui-même, dans ce monde onirique où il retrouve chaque nuit la belle et intrépide Nadia et le jeune Jorgo.
Mais ce qu'il risque aussi véritablement, c'est la folie. Une véritable fièvre des profondeurs qu'il doit contrer par la prise constante de pilules de stabilité pour l'empêcher de sombrer dans une crise qui lui serait fatale : car si son corps dans cette vie intérieure peut supporter un taux d'adrénaline des plus élevés et des aventures dignes de super héros, il n'en va pas de même pour le véritable corps de David, alité et gardé sous surveillance médicale le temps de ses plongées. Et si la fièvre des profondeurs venait à gagner David et qu'il se trouvait contraint à une remontée endiablée et anarchique sans respect des paliers, c'est la mort qui l'attendrait, ou tout au moins des dommages cérébraux irréparables qui feraient de lui un véritable légume.
Pourtant, malgré ces risques, c'est surtout le manque qui est le plus dangereux pour ces scaphandriers de l'imaginaire. Le manque insoutenable de la vie onirique, véritable échappatoire à une vie réelle terne et sans rebondissements. Car dans ses rêves, David vit sa vie comme il aurait voulu qu'elle soit : riche et palpitante, pleine d'amour, d'aventures, de dangers et de poésie.
Et comme tous les scaphandriers, David vit ses rêves comme une seconde vie. Et cette seconde vie le satisfait beaucoup plus que sa vie réelle, d'où ce désir irrépressible de redescendre, toujours plus souvent, toujours plus longtemps, toujours plus profondément... Peut-être même jusqu’à ne plus jamais remonter et oublier tout ce qui fait de David un être humain...

Le métier de chasseur de rêves ressemble toutefois beaucoup à de nombreuses professions artistiques actuelles : les ectoplasmes que ces artistes de l'imaginaire ramènent de l'au-delà doivent être les plus beaux, les mieux formés, mais aussi surtout les plus côtés. Car ces ectoplasmes s'arrachent en effet à prix d'or par des collectionneurs et des amateurs d'art et sont en plus recherchés par toute la société en raison de leurs vertus relaxantes et euphorisantes. Et c'est donc au péril de leur vie et de leur santé mentale que ces scaphandriers des rêves s'épuisent dans de périlleuses quêtes oniriques pour ramener des contrées lointaines de leur inconscient des trophées satisfaisants au yeux du public et des médias.
Véritable pamphlet contre la société actuelle, le Syndrome du scaphandrier de Brussolo est aussi une formidable réécriture de toute la tradition médiumnique : ces ectoplasmes matérialisés par les chasseurs sont en fait l'exacte copie des ectoplasmes exhalés par des médiums immortalisés par des photos censés les montrer en train de matérialiser de véritables spectres, et le vocabulaire employé par l'auteur suit fidèlement toute cette tradition (d'où l'allusion ironique très pertinente symbolisée par le personnage de la mère qui arrondissait ces fins de mois en se faisant passer pour une véritable médium alors qu'elle ne faisait que matérialiser ses propres songes).

Serge Brussolo noue donc avec une très grande habilité l'univers marin et l'univers médiumnique pour créer un nouveau monde extrêmement déroutant où l'on retrouve la plupart de ses obsessions littéraires sur la chair organique, l'oppression, la claustration et la réduction paradoxale du vivant au végétal alors que c'est chez lui l'inerte qui devient désormais biologique, vivant et d'une lourdeur organique malsaine. Les profondeurs de la terre sont ici semblables aux profondeurs de l'âme humaine et la pénétration des mondes imaginaires se fait semblablement au prix d'une lutte contre un macrocosme qui nous dépasse et nous transcende. Au prix de la vie.
L'introduction de ce roman est d'ailleurs formidable : les premières pages nous emmènent directement au cœur des principales préoccupations et thématiques de l'auteur et le style est clair et extrêmement prenant. Ce début est un véritable régal de suspens et d'oppression. Ce qui peut peut-être malheureusement conduire le lecteur à trouver le temps un tout petit peu long dans les chapitres suivants tellement Brussolo nous a mis en appétit par cette mise en bouche onirique.
Mais comme c'est le cas pour beaucoup d'ouvrages de science-fiction, ce n'est pas toujours l'accumulation d’action qui fait l'intérêt majeur de l'histoire, et c’est surtout ici l’univers créé, l'atmosphère déroutante qui s'en dégage et qui nous conduit à notre insu sur les chemins de l'imaginaire et peut-être même, pourquoi pas, sur la voie de notre inconscient à la recherche de notre propre royaume intérieur.

Note : 8,5/10
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Chaperon Rouge



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