Sang d'encre
(Drawning Blood)

Sang d'encre, c'est l'histoire de trajectoires, d'êtres humains qui s'attendent sans le savoir, de morts qui reviennent comme des souvenirs tenaces, d'enfants qui ont trop vite grandi. Se sont des pages écrites avec du sang dans lesquels les corps s'aiment et se déchirent, souffrent, et sur les peaux de gosses oubliés par la chance, se dessinent les stigmates d'une vie qui ne semble pas vouloir d'eux.
Au coeur du livre, un monde : Birdland. Un monde qui doit tout d'abord son existence à Charly Parker, surnommé Bird, célèbre saxophoniste qui comme beaucoup d'artistes, a vendu son âme au diable pour écrire les plus belles pages du Jazz dont ce titre : Birdland.
Ce monde, Bobby McGee le dessine jour après jour, nuit après nuit, sans relâche, des dessins qui sont pareils à une peinture de Bosch ou de Giger. Mais Bobby a, comme beaucoup d'artistes, lui aussi vendu son âme aux pires des démons : l'alcool et la drogue. Le whisky surtout, extrait des pires alambics clandestins de la New Orléans. Pourtant le jeune Trevor McGee voit en son père un héros, un dessinateur de génie et il l'aime. Mais ce que le petit garçon ne voit pas, c'est que le diable a déjà fait son oeuvre.
Alors qu'un matin Trevor se réveille les yeux encore noyés de sommeil, il trouve toute sa petite famille massacrée par son père, le corps de sa mère brisé en deux et le crâne de son petit frère écrasé comme un citrouille. Le destin de Trevor est alors scellé : c'est à lui de finir l'oeuvre de son père... Birdland...

Vingt ans plus tard, au coeur de la Louisiane, de ses bayous, de ses bars miteux, de ses groupes de rock ou de Jazz, de ses drogues, Zach Bosch, pirate informatique de génie, est recherché par toutes les polices des Etats-Unis car il est capable de pénétrer le cyber espace, lieu virtuel où il peut pourtant s'adonner à toutes les escroqueries possibles et imaginables. Zach est contraint de fuir. Il quitte la New Orléans et choisit une nouvelle trajectoire, loin des ordinateurs et du piratage.
Dans sa nouvelle trajectoire, Zach rencontre Trevor MacGee. Deux solitudes qui se rencontrent, deux être habités par un même fantôme, celui du père. Pour Zach c'est un monstre atroce qui le bat et pour Trevor c'est l'assassin. Pour finir Birdland, Trevor a pourtant décidé de retourner à la maison, cette maison "de l'assassin de toute sa famille" que l'on dit aujourd'hui hantée. Zach, par amour, le suit jusqu'au bout du cauchemar...
Dès que l'on parle de Poppy Z. Brite, on entend parler aussitôt de vampires, de serial killer et de gore. C'est en partie vrai. Mais ce n'est pas le cas de Sang d'encre...Le fantastique n'est ici qu'une toile de fond à peine esquissée et bon nombre d'entres vous pourraient bien être déçus. Le monde de Brite est peuplé de personnages fascinants pour la plupart, qui se rencontrent, s'aiment et se tuent. Sang d'encre, c'est un ensemble de lignes de vie qui se croisent, s'interceptent et qui s'entrechoquent jusqu'à dessiner un monde étrange et moite comme peut l'être un automne en Louisiane. Mais Sang d'encre c'est avant tout une fabuleuse histoire d'amour entre deux jeunes hommes que la vie poursuit. Mais pour qu'un amour vive, il faut l'éprouver. C'est ce que nous raconte Brite.
Sang d'encre est un livre, malgré un langage quelque fois vulgaire, qui fait preuve d'une sensibilité extraordinaire sans ne jamais tomber dans l'excès de romantisme fleur bleue. Je ne suis pas sûr que les amoureux de fantastique y trouveront leur compte malgré les quelques scènes gores qui parsèment le livre ici et là surtout vers la fin. Pourtant à mon sens, il s'agit du meilleur ouvrage de Brite. Sang d'encre est un voyage unique, l'auteur semble crier à ses personnages plus loin, plus loin, toujours plus loin car la porte de la sagesse se trouve au bout du chemin de l'excès. Ce fut l'adage de Blake, ce pourrait être celui de Brite et par la même celui de ses personnages. Se sentir en vie, c'est aussi un peu se sentir mort. Eprouvant...
A force d'aller loin, très loin, on quitte peu à peu ce monde et on arrive alors sur la planète fantastique, là ou règne le surnaturel ou comme le dit Poppy Z Britte le supranaturel. C'est ce qui arrive à nos deux personnages alors que les autres protagonistes mènent leurs petites vies simples et souvent minables, ils s'en vont affronter leurs fantômes. Ainsi, par de là la très belle histoire que l'auteure nous livre ici, elle nous donne aussi sa conception du fantastique : l'excès. C'est par l'excès d'hémoglobine et de sperme que l'on s'intéresse au corps, c'est par l'excès de gros plans que l'on s'intéresse à ces plaies béantes et suintantes.
Sang d'encre est donc un livre fabuleux sur l'amour, l'amitié, la musique, les drogues, sur la vie quoi (en tout cas selon la conception de Poppy Z. Brite !). Un livre qui se lit comme un Burroughs ou un Kerouac avec en fond sonore de la country cajun qui parle de vaudou et de plaies au coeur. Un livre qui est un voyage, un "bad trip", et qui conduira les personnages et le lecteur en plein coeur de l'enfer comme le peignent Bosch ou Giger. Le meilleur roman de Brite à ce jour, à lire à tout prix.

Note : 8,5/10
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Cruisader



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