Nous avons toujours habité le château
(We Have Always Lived in the Castle)
Que faut-il pour faire un bon livre ? Difficile à dire. Impossible même. Pourtant, pour moi, la réponse est là dans ce chef-d'oeuvre de Shirley Jackson.
Tout part de rien, une voix, celle de Mary Katherine Blackwood, dix huit ans, un esprit d'enfant qui connaît les poisons par coeur, qui vit dans la lune et parle aux chats. Rien, une ambiance, un son et un premier chapitre, tout en focalisation interne (comme l'ensemble du livre d'ailleurs), qui nous permet de suivre le parcours de cette jeune fille à travers un village qui lui a toujours été hostile, un parcours qui est comme un jeu de l'oie. Oui car Mary Katherine Blackwood a toujours habité le château, avec sa soeur Constance et son vieil oncle invalide et un peu dérangé. Mais il y a de quoi, car il est le seul avec les deux soeurs à avoir échappé au "meurtre" des parents Blackwood, morts empoisonnés. Par qui ? Pourquoi ?
Plus que le mystère, c'est l'ambiance qui fait oeuvre dans ce livre. Il ne s'y passe pas forcement grand-chose, mais la prose de Shirley Jackson distille son poison dans notre cerveau et nous enferme peu à peu dans le château et dans la tête de Mary Katherine. Les pistes se brouillent, le monde qui entoure la demeure dans laquelle restent cloîtrés nos personnages devient étrange, on perd pied avec la réalité, on ne sait plus qui sont les bons, qui sont les mauvais.
Le style de Shirley Jackson est absolument fabuleux, son verbe est d'une force rare et avec cet auteur tout part des mots, des choix sémantiques, on touche ici une matière littéraire tout simplement fabuleuse qui joue sur le détail, sur les dialogues admirables qui sont le reflet de l'âme de nos personnages. Elle ne se contente pas de faire parler, elle fait vivre. Tout comme nos personnages sont enfermés dans leur réalité, nous sommes enfermés dans le livre et il nous est impossible d'en échapper.
Dans ce livre, pas d'horreur, pas de gore, à la limite même pas de fantastique, presque une saga familiale, l'étude d'un microcosme, des déchirements internes, une histoire de femmes. Nous avons toujours habité le château n'appartient à aucun genre, il est juste une oeuvre, une grande oeuvre de littérature contemporaine.
Avec Shirley Jackson, nous sommes dans le minimalisme, la psychologie déviante, le mal-être de l'âme et l'on flirte avec la folie. Mais pas cette folie rocambolesque, spectaculaire, non, tout "coule" lentement, comme un ruisseau boueux mais calme et tranquille. Bien sûr, il y a du spectacle, on brûle, on est violent, mais de cette violence réaliste, de celle dont souffre tout homme ou femme un peu seuls. Ne vous attendez pas à des révélations spectaculaires et d'ailleurs de ce point de vue la fin est quelque peu décevante.
Mais Shirley Jackson est une grande, très grande plume et la lire est une expérience unique en son genre. Alors je n'ai qu'une chose à dire : ce roman est un chef-d'oeuvre et il faut le lire à tout prix.
Note : 9,5/10
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