Ne Mords pas le soleil
(Don't bite the sun)
Mon Ami Hergal s'était encore tué. Pour la quarantième fois, les quasi-robots l'avaient emmené aux Limbes. Quand je lui rendis visite, j'eus du mal à le reconnaître : Il avait bien trente centimètres de plus et des ailes ridicules dans le dos.
- Ecoute, Hergal, j'ai demandé que tu sois exclu de mon cercle d'amis. Cette fois j'en ai assez.
- Mais... qui es-tu ?
J'avais fais savoir dans toute la ville que mon nouveau corps était pâle et mince, avec de longs cheveux d'argent et des antennes. J'étais tellement abattue que j'allais me noyer pour la dixième fois dans ma bulle. Je me réveillai dans le Bain des Limbes où un quasi robot m'examinait.
C'est ça être Jang.
C'est être fou, violent, insupportable et... changeant.
Pouvoir changer de corps, de vie, de sexe. Aller de suicide en suicide en suivant la mode !
C'est marrant comme de temps en temps on tombe sur une perle d'occasion ! 187 pages d'éternité pour 1,20 euros ! Bref, Ne mords pas le soleil ! fait partie de ces livres dont l'irréalité ne laisse pas indemne face à la réalité. Sans rentrer dans les détails, cette société utopique en tout point conforme au pseudo-idéal sous jacent auquel notre monde adhère est déjà une vive critique. Immortalité, pouvoir, errance, irresponsabilité, gratuité, drogue parfaite et j'en passe... Plus rien à désirer de mieux. Pourtant, force est de constater qu'il est difficile de supporter de vivre dans un monde parfait. A l'opposé des visions habituelles que nous offre la perfection, Tanith Lee, à l'instar de Jean Cazeneuve, nous plonge dans "un paradis infernal à vivre".
Comment ne pas se reconnaître dans ces enfants perpétuels qui vont se suicider pour des raisons absurdes ? Il est vrai que la mort ne représente rien pour des êtres voués à renaître encore et toujours, mais justement, sans l'existence d'une préoccupation sérieuse, les humains se perdent dans une conception superficielle de la vie. Et c'est là qu'on se voit ! C'est là que tout ce qui nous semble essentiel perds tout à coup toute sa valeur pour nous laisser face à notre propre non-sens.
Et comment ne pas trouver absurde certain de leurs comportements ? Par exemple cet argot stupide utile par conformisme, ou alors le vol : Il faut savoir que dans cette société, tout est offert contre des remerciements (l'énergie de l'émotion est utilisée par les robots), et que les individus se considèrent comme des rebelles s'ils ne remercient pas ces offrandes. La valeur de la monnaie, ainsi que de tout ce qu'elle représente est ici totalement discréditée.
Dame Lee parvient magistralement à pousser l'autodérision jusqu'à la réflexion profonde. Ce livre m'a vraiment marqué au fer rouge. Il n'est pas dis ici qu'il faudrait vivre d'une manière précise, simplement qu'on aurait tort de porter autant d'attentions à de si insignifiantes choses.
La plume de Tanith Lee a une particularité : Elle sait porter le symbole au summum tout en gardant un style très personnel, presque intime. Comme si le fait de nous le chuchotter pouvait nous faire frissonner. A vrai dire, tout se passe comme si l'image qu'elle nous transmet prenait vie dans notre imagination, la suite du texte collant parfaitement à l'évolution de cette image. Je ne sais pas si je m'exprime clairement. Par exemple, Dame Silhol (que j'admire, soit dit au passage), écrit ce qu'elle appelle de la Hard Fantasy : Il faut être un véritable passionné pour en saisir toutes les nuances. Mais Dame Lee, pour résumer, a une écriture plus instinctive, voire "viscérale".
Attention cependant, si la fin bouclant ce récit ne semble pas répondre à toutes vos interrogations, n'oubliez pas qu'une suite vous attends : "Le vin Saphir". Il est vrai que ces textes sont peu connus en nos contrées, donc ne vous méprenez pas. Je vous le conseille vivement.
Note : 8/10
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Llugh