Les Maléfices du Temps
Au fil de cinq magnifiques récits, Michel Rozenberg va nous parler du temps. Non pas du temps qu'il fait, mais du temps qui passe, du temps qui détruit, qui délite, qui sépare, qui use et qui blesse. Cinq longues nouvelles centrées autour de cette seule et unique thématique si riche de sens, de doutes et de douleur mais aussi de sagesse et de maturité.
Le temps, véritable Janus Bifrons que Michel Rozenberg nous offre ici avec tout son cortège de failles et de brisures, que cela soit l'usure des sentiments, la solitude, la vieillesse, la mort ou le souvenir douloureux. Une écriture sans complaisance et extrêmement maîtrisée pour un voyage dans les couloirs du temps à la rencontre de personnages comme vous et moi emportés par le souffle du temps vers des contrées fantastiques et inquiétantes à la lisière entre cauchemar et réalité. Un voyage dont vous ne ressortirez pas indemnes...
L'un des intérêts majeurs de ce recueil (et pourtant, croyez-moi, il y en a beaucoup !), c'est la manière dont l'auteur est parvenu à resserrer son sujet sans jamais tomber dans la répétition ou dans l'extrapolation : ici, aucune histoire ne se ressemble et jamais la thématique du temps n'est traitée de manière grossière ou trop explicite, à la manière d'un voyage dans le temps ou d'une faille temporelle. Non. Michel Rozenberg travaille par touches délicates et angoissantes, par indices de la raison qui vacille et qui succombe peu à peu et nous invite à le suivre au coeur des méandres du temps, de ses courbes complexes et de ses circonvolutions maléfiques. Les repères se brouillent et s'annihilent peu à peu, la réalité s'efface et surtout, le temps passe et pèse de tous son poids sur les personnages.
La première nouvelle, qui donne d'ailleurs son nom au recueil, est un petit bijou : extrêmement bien écrite, elle nous plonge dans une intrigue qui n'est pas sans rappeler de prime abord le Bazaar de Stephen King (les longueurs en moins...) : un étrange antiquaire terrifiant, un livre interdit aux profanes, un étrange coffret qui change le cours de l'existence de ses possesseurs… Mais très vite, on cerne le style Rozenberg, la vivacité de l'intrigue et le rythme sans faille du récit. Le mystère se creuse au fil des pages et le temps s'abat soudain de tout son poids sur ceux qui ont osé braver les interdits du "traité de l'âge". Le temps reprend ses droits et la vieillesse devient le contre-pied de la jeunesse, celui qui donne doit reprendre et inversement. Une belle leçon pour un beau morceau de fantastique.
Le Temps d'Aimer, de facture un peu plus classique vient ensuite nous parler du deuil, de l'amour, de la mort et du souvenir. Très oppressante bien qu'un peu plus prévisible, cette nouvelle réserve elle aussi de très beaux moments. A Rebrousse Temps vous plonge ensuite dans l'horreur complète par la découverte du cadavre d'une fillette et d'une étrange poupée. Quand le temps et l'obsession se rejoignent… Quand la raison défaille et que la folie guette au détour d'un chemin, à l'angle d'une maison. Un texte vraiment surprenant, très sombre et excellemment mené.
Arrive ensuite les Spectres du Temps, savoureux moment de folie pure et de fantastique tout droit hérité d'un Horla de Maupassant. L'introspection confine à la démence lorsque le passé refait surface pour vous hanter et vous mettre face à face avec vos secrets les plus inavouables. La vieillesse n'est pas forcément le doux refuge des ans… Puis l'auteur décide de nous quitter sur son texte intitulé le Temps Fissuré, à mon sens le plus déroutant et le plus original de l'ouvrage. Un jeune écrivain en mal de succès qui décide d'écrire une nouvelle sur un tueur à gage et qui s'investit profondément dans son intrigue et dans son écriture. Une belle réflexion sur le travail de l'écrivain non dénuée d'humour ! Les deux existences vont se croiser et interagir mais chut ! je ne vous en dirais pas plus… C'est à vous de découvrir et de savourer ces maléfices du temps auxquels Michel Rozenberg nous convie d'assister, spectateurs impuissants de drames du quotidien mais aussi d'horreurs que notre raison est incapable d'appréhender et de saisir dans toute son étendue.
Les Maléfices du Temps est vraiment un ouvrage intelligent, une écriture qui sait se jouer du classicisme du genre sans jamais se couler dans des modèles prédéfinis et qui sait surtout nous séduire par son originalité et sa maîtrise sans faille du thème et des limites qu'il s'est imparti. Le style est enlevé, jamais rebutant, l'écriture très prenante. Certaines répétitions stylistiques viennent parfois alourdir la narration, mais ce n'est pas dommageable à la qualité de l'ensemble qui est vraiment d'un niveau très élevé.
Ces cinq récits nous hantent et nous poursuivent, parfois à notre insu, et c'est là la marque du talent de l'auteur et d'un fantastique parfaitement maîtrisé. La lisière entre folie, surnaturel et réalité est à chaque fois extrêmement tenue et la thématique du temps vient à chaque fois sonner le glas de la raison pour entériner et marquer au fer rouge les fautes secrètes et inavouées de chaque personnage. Jamais policés, jamais totalement blancs et toujours un peu coupables, même parfois seulement de petites suffisances bien innocentes, les personnages de Michel Rozenberg sont à chaque fois rattrapés par la courbe du temps et sa fuite inexorable qui les emprisonne, les détruit ou les punit.
Un recueil fascinant qui donne vraiment envie de découvrir plus amplement l'oeuvre de cet auteur qui nous prouve que la Belgique n'a pas dit son dernier mot en matière de littérature et de fantastique ! Une lecture que je vous conseille de tout coeur...
Note : 8,5/10
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Chaperon Rouge
A propos de ce livre :
- Site de l'éditeur :
http://nuitdavril.com/
- Site de l'auteur :
http://www.michelrozenberg.com/