La Maîtresse des épices
(The Mistress of Spices)
La brise, le sel, la lumière qui roule sur le pont. Des couleurs qui glissent entre les doigts dans un froissement. Sable odorant qui coule en remous légers. Et des mots. Des syllabes qui arrondissent la bouche sur un goût d'ailleurs. Sur le vent, le soleil et la terre de sienne. Ailleurs. C'est ce que m'a toujours évoqué le mot "épices" et c'est pourquoi d'emblée j'ai eu envie de lire La maîtresse des épices, parce que ce titre recelait un mystère : à quoi s'attendre ? Et comme de bien entendu, le roman qui s'effeuille entre mes mains dévoile à chaque page des surprises et des secrets.
C'est l'histoire de Tilo, narrée à la première personne. Dès son plus jeune âge, Tilo a fait montre d'un don tout particulier, qui lui permettait de prédire l'avenir, de retrouver les objets perdus ou de guérir les malades. Sa renommée était grande, et quand les pirates ont fondu sur son village, ils l'ont emportée, elle, la prophétesse, l'enfant non désirée. Aujourd'hui, Tilo est vieille. Elle vend des épices dans une petite boutique en plein quartier indien, dans une cité américaine. Et, bien qu'elle ait voulu les épices, qu'elle ait appris à composer avec elles, bien qu'elle ait choisi son isolement, Tilo se sent seule. Alors elle raconte, sa vie bien sûr, mais aussi celles des Indiens qui croisent son chemin et qu'elle tente d'aider à sa façon. Un jour, un Américain passe le seuil de son magasin. Et Tilo, Tilo la vieille, Tilo la prisonnière, se prend à rêver, et peut-être même à respirer, pour de vrai. Tilo voudrait vivre, Tilo voudrait apprendre, Tilomatta dont le nom, dérivé de "til", le sésame, est emprunté à la plus belle des danseuses de la cour d'Indra.
Ce pourrait n'être qu'une histoire banale. Les fils du récit se tissent au gré de l'amour qui enfle dans le coeur de la maîtresse. C'est aussi la rencontre de deux cultures, occidentale et indienne. Et pourtant, Chitra Banerjee Divakaruni fait beaucoup mieux. A bien des égards, c'est plus qu'un roman. C'est un conte merveilleux, c'est de la poésie en prose, c'est une série de portraits... Dans un style très élégant, fluide et ornementé, l'auteur nous dit la difficulté d'être Indien en Amérique, elle nous explique combien il est dur de décrire une culture, la sienne ou l'étrangère, sans la caricaturer ou la simplifier. Elle nous montre des hommes et des femmes, des vies qui s'entrecroisent, elle nous fait entendre le battement des coeurs et les soupirs de l'âme. Et c'est tout, et c'est amplement suffisant.
On peut lire ce livre comme on respire un parfum exotique, comme on brasse les herbes magiques d'un étal à l'autre bout du monde. Ou on peut le lire comme une belle histoire d'amour, ou comme le témoignage d'une réalité sociale. Il est tout cela à la fois et c'est la raison pour laquelle il est si surprenant et si envoûtant. Je ne saurais que trop vous le recommander, d'autant plus que c'est l'occasion de découvrir les éditions Philippe Picquier, spécialisée dans la littérature asiatique : une idée originale qui dénote d'une ouverture d'esprit pas si évidente.
Note : 10/10
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Kalys
A propos de ce livre :
- Site de l'éditeur :
http://www.editions-picquier.fr/.