La Maison des feuilles
(House of leaves)
Le roman débute par la découverte par un certain Johnny Errand d'un manuscrit rédigé par un vieil aveugle, sorte d'essai sur une vidéo documentaire : le Navidson Record.
Will Navidson est un photoreporter. Ayant récemment aménagé dans une maison avec sa famille, il constate un jour que celle-ci semble plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Peu de temps après, une ouverture de la taille d'une porte aux parois d'un noir d'encre apparaît dans un des murs de la salle de séjour. Cette ouverture est le seuil d'une incroyable structure plongée dans une obscurité totale, hors de l'espace et du temps ou située dans une autre dimension, un labyrinthe de couloirs et de salles de dimensions cyclopéennes dont la configuration se modifie (!) sans prévenir et de manière apparemment aléatoire.
Le récit décrit alors, sous forme de rapports, plusieurs expéditions (dont l'une menée avec des spéléologues professionnels) qui vont tenter de comprendre la nature de cette construction au-delà de toute conception humaine. Mais circuler dans ce dédale (qui laisse parfois entendre cris et grognements inidentifiables), avec pour toute présence rassurante une lampe torche et un équipement de survie, a de quoi perturber les hommes les plus endurcis, pouvant même les mener jusqu'à la folie.
Ce roman s'est beaucoup fait remarquer à sa sortie pour sa forme particulière : disposition du texte bizarre, typographies diverses, notes de bas de pages très longues, pages ne comportant qu'une phrase, dessins, photos, le tout constituant un ouvrage à l'apparence aussi labyrinthique que son (ses) histoire(s). Mais au-delà de ce qui pourrait se présenter comme une sorte de "livre-gadget" à tiroirs, le roman propose deux histoires (celle de Johnny Errand mais surtout de Navidson qui constitue le coeur du roman) racontée avec un réel talent pour susciter l'angoisse (et je dois dire, sans vouloir crâner, que les romans qui parviennent vraiment à me faire flipper sont rares). Avec La maison des feuilles, Danielewski donne tout son sens au mot Inconnu (Lovecraft aurait écrit Indicible) et chacun sait que rien n'est plus effrayant qu'une menace abstraite qui laisse toute la place à l'imagination. On ne peut donc pas, selon moi, accuser l'auteur de simple esbroufe.
Il y a un peu de Projet Blair Witch dans cet étonnant roman (mais à une échelle bien supérieure) et bien sûr, comme je l'ai déjà mentionné, Lovecraft et ses horreurs cosmiques (je pense en particulier aux Montagnes Hallucinées).
L'autre aspect intéressant de l'ouvrage est la manière que son auteur a de donner une légitimité à sa fiction et ce grâce à l'utilisation de documents divers, d'interviews de certains des protagonistes, de la mention d'enregistrements vidéos (dont le "Navidson Record") dont le roman ne serait que la transcription. Un procédé qui renforce la sensation de réalisme et permet ainsi à l'ouvrage d'avoir un pouvoir immersif certain sur le lecteur.
J'ajouterai, pour ceux qui serait rebuté par la complexité structurelle de l'ouvrage, que l'histoire de Navidson peut se lire indépendamment de celle de Johnny, dont l'histoire biographique (présentées par de très longues notes en bas de page) vient s'intercaler dans l'intrigue de la maison Navidson d'une manière qu'on pourrait juger intempestive, et qui brise un peu la tension suscitée par cette dernière. J'avoue pour ma part avoir tout d'abord ignoré ce texte parallèle pour me concentrer uniquement sur la partie concernant Navidson. Ce n'est qu'ensuite que je suis revenu à l'histoire de Johnny Errand qui, si elle reste moins forte sur le plan dramatique, n'en est pas moins importante.
Voilà le conseil que je pourrais donner au lecteur qui trouverait frustrant d'être ainsi dévié de sa lecture par ses (longues) annexes. Le roman permet d'ailleurs ce genre de libertés grâce à sa structure composite. Enfin, on peut regretter que, vu la disposition particulière du texte, une réédition en poche est impossible, ce qui empêche le roman de connaître un lectorat plus large.
Note : 8/10
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Ragle Gumm