La Maison des Damnés
(Hell House)

Plus d'une décennie après la Maison Hantée de Shirley Jackson et son adaptation au cinéma par Robert Wise, et donc plus d'une décennie après ces deux oeuvres qui marquèrent d'une pierre blanche le sous-genre des maisons hantées dans leur art respectif, Richard Matheson se pencha lui aussi sur le sujet en y apportant sa patte reconnaissable, mélange de classicisme et d'innovations.
Le sujet de sa Maison des Damnés peut en effet sembler totalement calqué sur celui du livre de Shirley Jackson : quatre personnes sont envoyées dans une maison hantée dont la réputation n'est plus à faire afin d'enquêter sur la malédiction qui frappe la demeure (en l'occurrence un vaste manoir poussiéreux et isolé).
Parmi eux, Lionel Barrett, un scientifique qui tentera de démontrer que les esprits n'existent pas et que les phénomènes qui ont eu lieu sont d'ordre physique. Sa femme Edith, qui lui fait également office d'assistante. Sont également conviés Florence Tanner, une médium sensible et idéaliste, et enfin Benjamin Fischer, un autre médium, seul survivant de la précédente expédition, que la peur semble paralyser. Toutes ces personnes devront donc prouver leurs propres théories concernant la Maison des Damnés, cet "Everest des maisons hantés", dont la sinistre réputation fut acquise suite aux orgies qui y furent organisées jadis par Emeric Belasco, le "Géant Rugissant".

Les points communs de cette intrigue avec l’oeuvre de Shirley Jackson (et peut-être encore plus avec sa célèbre adaptation cinématographique, lorsque l'on sait à quel point Matheson était influencé par le monde du cinéma) sont évidents. Sans parler des titres en version originale, puisque la Hill House de Jackson devient ici la Hell House... A plusieurs aspects, cette ressemblance persévérera dans le développement de l'intrigue, qui verra ainsi certains points de la psychologie des personnages de Hill House transposés chez leurs confrères de Hell House. C'est le cas par exemple des traumatismes enfantins qui seront utilisés par la maison pour persécuter plusieurs personnages déjà fragiles et par conséquent encore plus impressionnables. C'est le cas également pour les tensions sexuelles hétérosexuelles autant qu'homosexuelles qui vont s'installer progressivement entre plusieurs personnages...
On notera aussi que ces deux exemples sont valables pour les deux personnages féminins, clairement montrés comme des proies faciles pour la maison. Non pas que Matheson se montre misogyne, au contraire. Car si les deux hommes de la maison se montrent moins perméables, c'est du fait de leur fermeture d'esprit. La fermeture de l'un, le docteur Barrett, qui ne croit qu'en la science, et la fermeture de l'autre, Benjamin Fischer, qui refuse d'utiliser ses capacités de médium afin de ne pas être contaminé par l'influence néfaste de la maison des damnés. Or, au fur et à mesure que le roman avancera, il deviendra évident que rien ne peut en réalité faire obstacle au danger et que par conséquent les faiblesses des personnages ne constituent guère qu’une piste d’éléments exploitables par les esprits qui hantent la maison.
De plus, les différences entre les personnages ne peuvent se limiter à la simple différence de sexe, puisque les plus grandes implications dans les investigations relatives à cette malédiction sont à attribuer à deux personnages complètement opposés : Florence Tanner et le Dr. Barrett. Leurs opinions divergentes constitueront autant de pistes différentes, à partir desquelles le lecteur sera amené à faire un choix : science ou surnaturel ? De son choix pourra découler sa propre détermination du "personnage principal". Mais il ne faut pas pour autant oublier les deux autres protagonistes, Edith Barrett et Ben Fisher, dont l'importance deviendra prépondérante au fur et à mesure du récit, et qui pourront endosser des rôles de médiateurs. Matheson exploite donc les personnalités de chacun de ses personnages autant qu'il le peut, et même si on pourra regretter un certain côté conventionnel à ce niveau, cela permet de donner un peu de profondeur aux manifestations surnaturelles qui n'interviennent ainsi pas sans justifications, et qui de ce fait renforcent d'autant plus l'essence maléfique d'une maison qu'on devine intelligente (ou du moins les entités qui la hante le sont).
Maintenant, si les actions de la maison sont préméditées, il faut bien admettre que Matheson prend un plaisir évident à les faire intervenir. Et c'est en cela que La Maison des Damnés se démarque de la Maison Hantée (titre français atroce que je déteste employer, mais enfin bon, tel n'est pas notre sujet ici) de Shirley Jackson, pour venir s'inscrire dans son époque. Car il n'est pratiquement pas un chapitre qui ne s'achève sans manifestation surnaturelle ou avancée importante de l'enquête qui s'y rapporte. On reconnaît bien là le style de l'auteur, dont le sens du rythme se base ici sur de l'horreur pure et dure.
La maison torture ses habitants selon leur caractère, certes, mais elle le fait d'une manière autant graphique que mentale. C'est ainsi que l'écrivain s'acharnera littéralement sur la pauvre Florence Tanner, dont idéalisme la mènera aux pires humiliations corporelles et mentales (ce qui pourra aussi renforcer la sympathie du lecteur envers elle). Les autres personnages, sans être épargnés, ne connaîtront certes pas les mêmes offenses qu'elle, mais seront en tout cas témoins d'un vrai étalage d'étrangetés, résumés par la liste dressée par le Dr. Barrett en début de livre et officiellement censée répertorier tout ce qui s'est déjà produit dans la maison par le passé. Cette liste ne sera en fait que le catalogue des réjouissances au menu de la lecture du roman.
Alors certes, ce procédé un peu répétitif pourra éventuellement agacer certains lecteurs en quête avant tout de mystère et de frissons à l’ancienne (surtout que la description du manoir et de ses multiples pièces est un peu confuse), mais soulignons que Matheson parvient tout de même a éviter le côté "maison hanté Disneyland" en sachant revenir quand il le faut à des scènes de dialogues certes moins démonstratives mais tout aussi intéressantes. Il ne verse pas non plus dans l'humour, et toutes les agressions et manifestations dont nous sommes les témoins constituent autant l'affirmation d'un danger physique potentiel pour les personnages qu'une trace de complaisance pour un public en mal d'action. Le tout n'est certes pas du grand Matheson, mais reste une solide histoire de maison hantée, prenante (bonne idée également que la division du roman en chapitres classés selon les jours et les heures) et violente.

Note : 7/10
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Walter Paisley



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