Lettres aux ténèbres
Ils sont deux ombres, deux énigmes, deux mystères qui se rencontrent, au musée d'Orsay, devant une toile de Gustave Moreau (L'énigme justement !). Deux sphinx face à face se renvoyant leurs secrets, leurs questions. Ils sont deux créatures de la nuit, des vampires... Elle, c'est Ambre, une femme prisonnière, muse malgré elle d'un écrivain qui ne voit en elle qu'une femme que l'on met dans un livre, que l'on façonne, dont on invente la vie et le reste. Lui, c'est Lazzio, un roumain, un tzigane, un peintre, dont toute la famille a été massacrée et qui semble jouer un rôle important dans la communauté vampirique.
Alors commence une correspondance entre ces deux êtres un peu perdus, qui semblent être en constante errance nocturne. La première partie, Lettres du Crépuscule est consacrée à la correspondance d'Ambre et aux réactions de Lazzio face à le lecture de ces lettres. Puis vient la seconde partie, Lettres au Clair de Lune, et là c'est l'inverse, c'est au tzigane de se livrer et à la jeune femme de réagir. Et jusqu'au dénouement génial et sanglant on suit ainsi la vie de deux vampires et bien plus encore...
Avec Lettres aux ténèbres, Charlotte Bousquet pourrait bien nous livrer l'oeuvre vampirique la plus sombre, la plus troublante et la plus profonde qu'il y est. Un chef-d'oeuvre qui frappe nos sens, notre intellect et dont personne ne peut sortir indemne. Un roman qui restera.
On peut rapprocher le roman de Charlotte Bousquet à ceux d'Anne Rice, surtout quant à la quête des origines, savoir qui je suis quand je suis un non-mort. Ambre semble trouver la réponse au Caire en Égypte (tout comme dans Anne Rice où l'Égypte est extrêmement importante) et Lazzio quelque part en Roumanie dans les contrées slaves, en cette terre qui vit la naissance de vampires célèbres. Mais là ou Anne Rice joue la carte de l'aventures, du vampires "grand public" (ne rien voir de péjoratif dans mes propos, puisque l'oeuvre d'Anne Rice reste un petit bijoux) Charlotte Bousquet va "utiliser" la figure du vampire pour interroger l'acte créatif, l'amour, la mort, la vie. Une sorte d'oeuvre somme, qui, je ne vous le cache pas, peut s'avérer très complexe et déroutante.
Ambre est la muse d'un écrivain, nous l'avons dit, mais qu'est-ce qu'être un fantôme, ne pas avoir d'existence autre que celle que veut bien lui donner le génie ? Comment être quand peu à peu sa vie n'est rien d'autre qu'une vie irréelle, crée de toute part par un autre ? Lazzio est peintre. Pourquoi la peinture, qu'est ce que peindre, ou est la réalité dans le sujet ? Quelle part de moi crée ? Voilà un petit nombre de questions que pose avec brio l'auteure dans cette oeuvre où les vampires se questionnent, s'interrogent et vont jusqu'à briser les règles établies, déclenchant sur eux le courroux de la justice des immortels. Des questions sur l'acte créatif, sur l'amour aussi.
Les personnages de Charlotte Bousquet sont touchants et l'on devine la sensibilité à fleur de peau de l'auteure. Sa matière première elle la puise dans la vie même (dans sa vie ?) et ses mots sont un écho troublant à nos propres vies, plongeant le lecteur dans un étrange sentiment faisant ressortir tout ce qu'il y a de plus beau dans la vie, dans l'amour mais aussi tout ce qui fait que l'on peut déraper, se perdre, rupture amoureuse, quête du sens, réflexion sur nos conditions etc. Une oeuvre forte, qui bouscule, vous emporte et qu'il est impossible de lâcher. Lettres aux ténèbres est l'un des seuls livres que j'ai relu aussitôt l'avoir fini, dans lequel j'ai comme une obligation de revenir, sûr d'être passé encore et encore à côté de quelque chose, sûr qu'il y a un sens caché que je n'ai pas su trouver. Complexe et sublime ! Certains pourront y voir un là un défaut, moi j'y est vu une oeuvre profonde et forte.
Je ne connaissais de Charlotte Bousquet que son cycle le coeur d'Amarantha (l'un des meilleurs cycle de fantasy francophone que je connaisse avec celui de Claire Panier-Alix) et quelques nouvelles. Ici, le style change radicalement, très contemporain, phrases courtes allant directement à l'essentiel, sans nier jamais la force du mot et sa force d'évocation. Un style original et percutant peu commun dans le genre qui nous intéresse, même si pour moi ce roman qui mélange style épistolaire (comme Bram Stoker !) et narration classique, se joue très largement des genres. Pas forcement une lecture "facile" mais une lecture obligatoire, pour moi un classique !
Lettres aux ténèbres s'accompagne de quatre nouvelles, toutes dans l'univers du vampire qui sont elle aussi très touchantes. Little one qui se veut un hommage, du moins c'est ainsi que je l'ai perçu, à Claudia la petite fille vampire d'Anne Rice. Ce qui était valable pour Lettres au ténèbres l'est aussi pour les nouvelles, Charlotte Bousquet écrit avec sa chair, ses tripes, avec une sensibilité que l'on devine extrême, d'où des écrits sombres et touchants.
Mais les mots de l'auteure, et je crois que c'est sa particularité, s'ils sont vibrants et chauds d'émotion, sont aussi remplis d'une culture que l'on devine énorme et qui force le respect. Charlotte Bousquet, dans sa nouvelle Ballade du temps retrouvé, fait revivre François Villon sous les traits d'un vampire...Une oeuvre hommage où l'on redécouvre certains personnages de Lettres au ténèbres et où surtout Charlotte Bousquet nous susurre à l'oreille, avec finesse et élégance, son amour pour les belles lettres et pour Villon !
L'ouvrage publié au Calepin jaune démontre aussi tout le savoir faire de l'éditrice Estelle Valls de Gomis, puisque le livre est un superbe objet, entre autre grâce à l'illustrateur de talent : Fablyrr qui a su avec son crayonné tout particulier rendre encore plus vivant l'histoire d'Ambre et de Lazzio. Et la couverture de ces ténébreuses lettres est l'une des plus belles qui m'ait été donné de voir.
En un mot, Lettres aux ténèbres c'est l'alliance d'illustrateurs de talent (Fablyrr est accompagné d'Estelle Valls de Gomis et de Jijicé) et d'une plume de génie, qui bouscule et qui passionne. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas été autant ému par un livre, que je n'avais pas été autant troublé par des mots. Pour moi, Lettres aux ténèbres c'est peut être même plus que cela...
Inutile à présent que je m'attarde, car vous l'avez compris, Charlotte Bousquet vient nous offrir une grande oeuvre qui dans mon imaginaire fera date et que je n'oublierai jamais et qui m'accompagnera encore longtemps, j'en suis certain. Alors voilà, c'est sorti au calepin Jaune, donc ne passez pas à côté, se serait vous priver de beaucoup de choses !
Note : 10/10
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Le Cimmerien