L'Homme qui rétrécit
(The Shrinking man)

Si Richard Matheson n'a pas beaucoup de romans dans sa bibliographie, reconnaissons lui tout de même que parmi les quelques uns qu'il a écrit figurent au moins deux oeuvres incontournables du fantastique et de la science-fiction : Je suis une Légende, évidemment, mais aussi cet Homme qui rétrécit qui exploita la mode des années 50 à propos des retombées radioactives agissant dramatiquement sur la taille des malheureux qui y sont exposés. Mais, là où la coutume veut que ce soit des animaux qui grandissent jusqu'à constituer une menace pour l'humanité, le roman de Matheson renverse carrément la donne. En effet, plutôt que faire exagérément grossir des animaux, l'auteur choisit ici de faire rétrécir son héros, Scott Carey, père de famille respectable qui à l'entame du livre ne mesure plus qu'une poignée de millimètres et qui se retrouve enfermé dans la cave familiale, oublié de ses proches et du monde.
Son seul objectif est désormais de survivre dans un monde où la nourriture se fait rare et où une araignée attend, tapie dans l'ombre, de le dévorer. Bien sûr, sa taille lui interdit toute évasion et, confiné dans cet espace où tout est vain, Scott se remémorera souvent son passé, offrant ainsi au lecteur le récit des diverses étapes ayant précédées cette funeste situation. Enfin, pour parfaire le tout, le rythme de la décroissance du héros est telle que dans quelques jours, Scott Carey aura cessé d'exister...

Une histoire très riche en aventures, donc, que Matheson démarre comme à son habitude sur les chapeaux de roues, avec une course-poursuite entre Scott et l'araignée, une veuve noire qui du fait du postulat de l'intrigue occupe en réalité la fameuse place accordée aux animaux géants dans les productions science-fictionnelles de l'époque. Mais, et c'est là que le roman se démarque des productions habituelles, l'araignée n'est bien entendue pas la seule à faire office de géante, puisque dans le nouveau monde de Scott, tout apparaît comme monumental et dangereux. Matheson réussit haut la main à retranscrire une vision du monde comme on l'a rarement vu, où les aiguilles deviennent des lances et où grimper sur une table devient une vraie épreuve d'alpinisme à effectuer avec les (maigres) moyens du bord. Rien qu'à ce titre, L'Homme qui rétrécit est un livre qui se dévore de bout en bout. D'autant plus que le roman est plutôt court (environ 200 pages) et que le rythme est donc très soutenu, en dépit des ruptures de ton provoquées par les nombreux flash-backs, qui ont une toute autre portée que celle de l'aventure.
Leur but est ainsi de raconter l'aliénation progressive d'un homme qui sera de plus en plus exposé à l'humiliation et à la pitié. Faisant peu de cas des beaux raisonnements sentimentaux, Matheson démontrera ainsi que le physique est la base de toute relation humaine, en termes d'amour, d'autorité, de respect... Comment par exemple imaginer qu'un Scott Carey d'un mètre vingt puisse faire l'amour à sa femme d'un mètre soixante-dix ? Les nombreux obstacles de ce genre seront traités avec une ironie constante d'autant plus cruelle que le personnage sera toujours conscient de ce qui lui arrive. C'est ainsi qu'il devra finalement se plier aux pires humiliations ou les subir sans pouvoir riposter...
Mais derrière cet humour noir se trouve aussi une variation sur le mythe du "freak", de l'exclus et de l'incompréhension (voire de la cruauté pure et simple) dont font preuve malgré eux les autres personnages envers lui. A partir de là, le combat pour la survie livré par Scott ne sera plus considéré uniquement comme un acte d'auto-préservation, mais bien comme une lutte pour la dignité de la part d'un "monstre" qui reste pourtant un homme. C'est par ce fil rouge que les flash backs seront intimement liés avec l'histoire au présent, aboutissant ainsi à un roman très bien construit.
On pourra également dresser un parallèle entre L'Homme qui rétrécit et la toute première nouvelle de Matheson, le Journal d'un Monstre, qui nous présentait elle aussi la vie d'un autre exclu enfermé dans une cave. Les thèmes sont assez identiques, et seul le traitement des personnages principaux différera, nous présentant deux réactions différentes à l'aliénation forcée. Un thème toujours fort usité aujourd'hui, mais qui a toujours plus ou moins été traité.
Richard Matheson le reprend donc à son compte, en le transformant selon son style personnel et en le retranscrivant dans son époque, les années 50. Une décennie marquée par l'explosion de la société de consommation et par l'invasion du matérialisme forcené, qui trouve ses répercussions dans le roman à travers la vie d'un homme dont la monstruosité apparente s'accompagnera de toutes les oppressions imaginables dans cette société en pleine évolution scientifique, économique et morale. Trois domaines contemporains, et autant de problèmes au sein de la vie de tous les jours. Bien plus en tout cas que la radioactivité, qui si l'on en croit la production fantastique et science-fictionnelle de l'époque constituait le danger majeur pour la société et dont le rôle ici est réduit au facteur de rétrécissement.
Beaucoup plus profond que ce qu'il n'y paraît, L'Homme qui rétrécit combine donc le sens du spectacle en vigueur à l'époque (très bon, d'ailleurs) et, beaucoup plus original, les préoccupations de l'auteur sur l'évolution d'une société dont les changements apparemment bénéfiques portent pourtant eux aussi leurs lots de problèmes. Le tout avec l'humour noir d'un auteur qui retranscrit le désespoir de son personnage principal trouvant dans l'autodérision une façon de continuer à exister tout en évacuant sa peur de l'avenir. Vraiment très habile. Du Matheson plus que recommandable.

Note : 8/10
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Walter Paisley



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