L'Homme aux yeux de napalm

En la période de Noël, lourdement chargée de son imagerie ancestrale et de ses mythes de carton pâte, réjouissant les enfants et aussi les plus grands de ses mièvreries enguirlandées, l'heure est parfaitement venue de présenter le roman L'homme aux yeux de napalm de Serge Brussolo qui ravira les plus farouches détracteurs de cette fête traditionnelle ou fera frémir ses plus fervents partisans. Au choix.
Et comme au fond de nous, à cette période, on retrouve pour la plupart une âme d'enfant et que mine de rien, même si Noël est vraiment trop rattrapé par un capitalisme exacerbé, et bien, c'est quand même pas la période la plus désagréable de l'année, alors, pour la plupart d'entre vous, la lecture de cet ouvrage vous fera grincer des dents, j'en mettrai ma main à couper...
L'histoire en elle-même est déjà bien particulière : David est écrivain de science-fiction, un auteur à la mode qui écrit une série de livres intitulés "Père Noël Kommando" et qui semblerait exploiter avec cynisme et dérision de circonstance une série de meurtres horribles perpétués depuis plusieurs années consécutives à la période des fêtes sur les pères Noëls des trottoirs et des supermarchés.
Pourtant, David n'invente rien, bien au contraire il tente d'exorciser dans l'écriture ses cauchemars au cours desquels il vit une vie parallèle, une vie d'éternel enfant de douze ans dans une fabrique de jouet sous les ordres d'un Père Noël monstrueux, une fabrique transformée en bagne exploitant jusqu'à la morts les enfants esclaves : momification de nains, vidage de leurs entrailles pour en faire de poupées, gobages d'oeufs pourris en verre de poules géantes et monstrueuses, tranchant les membres et les artères des enfants maladroits, nuit qui se coagule pour étouffer les retardataires, voici dans les grandes lignes l'univers onirique du père Noël que vit David, nuit après nuit, dans ses rêves.
Ces rêves, il les fait car enfant, il a honteusement massacré avec deux de ses amis l'une des parties vitales d'un extra terrestre venue en visite d'exploration sur terre, se livrant ainsi à l'horrible meurtre, pourtant involontaire, d'une créature sans défense. Pour ne pas mourir, la créature s'est donc divisée et a prit la forme pour elle anonyme d'un père Noël et depuis lors, elle ne peut s'échapper de cette image qui lui répugne, haïssant d'années en année de plus en plus les humains et leurs coutumes, exécrant Noël et ceux qui l'on condamné à souffrir les même rituels jusqu'à la nausée, ne souhaitant plus que s'enfuir et regagner son monde.
Nuit après nuit, les cinq pères Noël qui sont les cinq parties de la créature vont donc se livrer sur David à des expérimentations dépassant les limites de l'entendement et David, chaque matin, se verra muter vers quelque chose que son esprit ne peut saisir, vers quelque chose qui semblerait ne déjà plus être véritablement humain...
Le rêve va peu se lier à la réalité et la fabrique de jouets du Père Noël, monstruosité onirique, va se faire de plus en plus présente, repoussant les limites de l'horreur et de la folie.

L'homme aux yeux de Napalm est donc un roman dérangeant, un roman qui gratte là où cela fait mal, là où, quelque soit ses opinions, les choses ont un caractère presque sacré : les jouets, l'imagerie de Noël, le père Noël lui-même etc. Car depuis notre enfance, même si on n'y croit plus, on en garde une image de nostalgie, une bonne bouille rougeaude bon enfant… Et là, Brussolo va s'ingénier à détruire et détourner à chaque page tout ce qui fait la poésie et la magie de Noël et parvenir à déloger le caractère terrifiant et monstrueux dans tout ce qui fait que cette fête existe.
Et je ne parle absolument pas de religion et de Nativité. Non, simplement de jouets et de guirlandes, d'ours en peluche et de poupées dormeuses qui ne sont ici que des cadavres en puissance, transformés en objets pour enfants après d'atroces tortures. Des petites choses qui nous font grincer des dents et regarder notre décor ambiant d'un regard nouveau, écoeuré, révulsé. Brussolo nous parle dans l'ouvrage de parvenir à la vision des choses cachées derrière les apparences : et bien la leçon est très vite apprise et le regard que nous portons sur Noël est bien vite transformé, remanié, par la lecture dérangeante de ce livre pourtant excellent.
En plus, n'oublions pas de préciser que cet ouvrage est brussolien par excellence : tout y est, peut-être même de manière presque un peu répétitive lorsque l'on s'intéresse de près à l'oeuvre du maître : l'univers onirique et sa matérialisation dans le réel sont de nouveau présents ici jusqu'à l'obsession, le héros se perd dans l'univers du rêve et le corps en subit les inexorable modifications ; la chair est malmenée, mortifiée, les consciences sont humiliées et la critique de notre temps, dans son extrémisme mercantile, dans sa joie de surface, est énoncée de manière extrêmement provocante et provocatrice.
Je pense que cet ouvrage, dans sa thématique est quelque part très proche du Syndrome du scaphandrier du même auteur et l'on ne peut par ailleurs pas laisser passer la récurrence quasi obsessionnelle de Brussolo pour un Grand Tout idéal et idéalisé, représentation parfaite et organique d'une masse d'absorption totale des êtres et des pensées : l'individu se perd dans la masse, l'individualité se fond dans le tout et engendre des monstres, nés du fruit d'amour monstrueux entres les êtres et de l'osmose entre toutes les "masses tissulaires initiales".
C'est dérangeant, perturbant et le goût laissé dans la bouche a quelque chose de véritablement amer. Mais c'est aussi la marque des plus grands que de déranger le lecteur, de le sortir du conformisme confortable de ses lectures quotidiennes par le biais desquelles il plonge dans la torpeur de l'esprit, peut-être l'une des plus atroces maladies de notre époque. Alors, à prendre au second degré, certes, mais surtout il faut réfléchir sur le message que porte cet ouvrage très intelligent dont nous ne pouvons pas vraiment parler ici sans dévoiler trop de l'oeuvre.
La fin n'est toutefois pas des plus réussies, mais bon, on passera à l'auteur cette petite facilité qui permet un bon retournement qui lui, est par ailleurs très bien trouvé. Je vous conseille donc de lire ce livre à l'approche des fêtes pour en apprécier toute sa saveur et vous sentir véritablement impliqué. Mais bien sûr, ce n'est pas une nécessité absolue et il serait trop dommage de se priver de ce plaisir juste parce que les fêtes sont passées ! Vous ne serez pas déçus, peut-être simplement dérangés dans vos préjugés, vos sentiments et vos opinions, certes, mais vous aurez tout de même fait une sacré expérience de lecture...

Note : 8,5/10
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Chaperon Rouge



Avis des visiteurs :

- L'introduction du roman fait déjà son petit effet, c'est extrêmement dérangeant cette histoire d'une petite fille qui, sans savoir pourquoi, arrache le bras d'une poupée et est déçu de ne pas voir tripes et boyaux a l'intérieur, elle regarde aussi un gamin qui charcute un nounours avec son canif et s'imagine jouer avec lui et les petits chatons de sa voisine... c'est raconté tellement naturellement avec des propos tellement extreme (surtout venant d'enfants) qu'on ne peut que se hater de lire la suite !
Et effectivement l'ensemble du livre est comme le début (dans une moindre mesure) soit totalement déroutant, Brussolo arrive à perturber le lecteur, on ne sait plus trop où en en est. Plus ça avance et plus cette sensation persiste, finalement on perd ses repères et on se sait plus très bien qui sont les gentils et les méchants, on en vient même à plaindre ces horribles père Noël...

Note : 9/10 (.: gregore :.)

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