Le Goût de l'Immortalité

Oh, que nous sommes loin de la trilogie Quand les Dieux buvaient avec ce tout nouveau roman de Catherine Dufour ! Certes, la très belle couverture réalisée par Caza, très sombre et inquiétante, nous avertit tout de suite que nous ne sommes plus là pour rire et se taper sur les côtes. Certes, on nous a prévenus et reprévenus, le Goût de l'immortalité rompt totalement avec les précédents écrits de son auteure jusque là plutôt tournée vers des pratchetteries burlesques et déjantées, certes. Mais à ce point là ! Le tournant est des plus radical...
L'univers est futuriste et sombre à souhait, tout de manipulations génétiques, de colonisations et de technologie à outrance. Les animaux n'existent plus, les végétaux non plus d'ailleurs, et en ce qui concerne les humains, ils n'ont désormais plus grand-chose à voir avec les aléas de Dame Nature... Un exemple : chaque parent peut désormais choisir librement le sexe de son enfant, bien sûr, mais en plus, il lui fournit aussi un bagage génétique en fonction de ses ressources monétaires. Et le pack 1 (c'est-à-dire le e123.5, traitement standard) comprend tout de même l'"éradication des 25 maladies auto-immunes", de beaux yeux cernés de noir et de beaux cheveux blonds sur une peau de velours. Et vous n'êtes pas pour autant au bout de vos surprises. Une société de rêve ? Pas si sûr...

Le décor est planté avec une mégalopole asiatique, savant mélange à la suite de nombreux bouleversements géopolitiques de la Chine, de la Corée, du Japon et du Viêtnam.
L'histoire s'ouvre sur un récit a posteriori d'un étrange personnage, extrêmement énigmatique et inquiétant et qui nous relate l'histoire d'un certain Cmatic. Une longue lettre qui prend peu à peu la forme d'une confession, d'un aveu, et qui retrace lentement le passé de son auteur, qui est pour nous un futur. Et nous allons vite nous trouver embarqués à sa suite dans un univers où manipulations génétiques, meurtres et rituels vaudou se côtoient afin de créer un monde totalement sombre et désespéré, vision apocalyptique du nôtre et de son devenir.
Le narrateur se présente pourtant bientôt, une enfant de sept ans, fille d'une prostitué, pour qui l'existence va prendre très vite un tournant radical lorsqu'elle va tomber gravement malade et être soignée par l'inquiétante Iasmitine, prêtresse vaudou démoniaque, dragon rouge du mal, qui va ainsi lui donner pour son plus grand malheur le goût le plus pervers et le plus délétère, le goût de l'immortalité. Et c'est à ce moment là que la vie de l'enfant se brise, qu'elle n'est plus véritablement enfant, plus véritablement humaine, plus véritablement innocente. Son destin et ses pas vont ainsi croiser ceux de Cmatic, ancien entomologiste atteint d'une maladie perfide et inconnue à la suite de son implication dans une terrible histoire de meurtres réalisés par des moustiques génétiquement modifiés.
Leur route à tous deux rencontrera aussi celles de Cheng et de Nakamura, deux être solitaires et échoués, rares survivants brisés de l'enfer des massacres engendrés par Path, un autre dragon rouge, tuant, violant et torturant sous couvert de protection des classes défavorisés et d'endiguement des terribles "rota", des épidémies sanglantes et meurtrières qui se sont abattues sur la ville. Impossible de vous en dire plus sur l'intrigue tant elle est complexe et à tiroir, de faux semblants en rebondissements. Un long passage inséré (plus d'une centaine de pages) est consacré à Cheng et à Nakamura et l'on oublie un long moment l'intrigue première concentrée autour de l'enfant et de Cmatic sur fond de vaudou, de trafics humains et d'immortalité. Mais ce n'est que pour mieux les retrouver ensuite, certains points fondamentaux une fois éclaircis.
On est en effet bien loin des premiers écrits de Catherine Dufour et ce roman écrit à la première personne nous laisse un goût bien amer dans la bouche. Je ne sais pas si c'est celui de l'immortalité, mais c'est en tout cas celui de l'ouvrage dérangeant, sombre et corrosif. L'intrigue est parfois un peu trop confuse et le roman pâtit de certaines longueurs, mais globalement, c'est un très bon roman de science-fiction, entre classicisme du genre et innovations intéressantes. Certains personnages sont troublants et s'impriment clairement dans nos mémoires et le style reste efficace, soigné, même parfois jusqu'à l'extrême.
Trop de détails et d'accumulation peut-être ? Trop de conflits géopolitiques et de précisions toponymiques et topographiques ? Ou peut-être un peu des deux... En tout cas, quelques faiblesses qui nous interdisent de crier au chef-d'oeuvre mais qui ne pourront tout de même pas nous interdire de conseiller chaudement la lecture du Goût de l'immortalité. Car ce roman reste une valeur sûre en ce qui concerne les dernières sorties de 2005 et vous passerez très certainement un très bon moment à sa lecture, surtout si vous aimez les univers sombres et futuristes, les manipulations, les complots et les déchéances humaines, qu'elles soient mentales ou physiques. Certaines évocations sont véritablement prodigieuses et certaines scène d'une force réelle.
Le Goût de l'immortalité est un roman de la transformation, du déclin, de la déchéance et les rapports humains, la société, les hommes et les conditions de vie n'en sont que quelques illustrations sous la plume de Catherine Dufour. Une vision très négative de notre société future mais qui dénote chez l'auteure une conscience aiguë du rôle de l'écrivain actuel entre divertissement, plaisir, électrochocs et dénonciations efficaces de nos travers et de nos errances les plus dangereuses. Un très bon roman, donc, et dans tous les cas un livre à lire si vous voulez comprendre exactement ce que veut dire écrivain polymorphe et polyvalent !

Note : 8/10
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Chaperon Rouge



A propos de ce livre :

- Site de l'éditeur : http://www.mnemos.com/

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