L'Exorciste
(The Exorcist)
Deus et pater domini nostri Jesu Christi invoco nomen sanctus tuum etc... Amen ! Tout le monde se souvient de ces phrases que psalmodie le prêtre le plus célèbre d'Hollywood, le nommé père Karras. Souviens-toi lecteur de cette petite fille, Reagan, qu'un démon, peut-être le diable lui-même, vient posséder. Rappelle-toi ce thème superbe qu'est le Tubullar Bells de Mike Oldfield et la musique de Penderecki. Envoûtante, obsédante, possédante.
Tu as vu le film cent mille fois, tu as eu peur bien blotti au chaud sous ta couette mais avant tout ça il y avait un livre. Et je dois t'avouer que ce dernier n'apporte pas grand-chose et qu'il s'adresse surtout à l'ensemble des nonnes et autres moines qui auraient vécus en hibernation dans un monastère polonais depuis plus de trente ans maintenant. C'est certainement le seul ouvrage que le film surpasse aisément.
En 1971, lorsque Blatty publie l'exorciste, il est surtout connu comme journaliste et scénariste entre autres de deux films d'Edwards, genre comédies policières américaines plus ou moins drôles et qui ont pas mal vieillies aujourd'hui. On est donc loin de l'exorciste et de la littérature fantastique.
Fantastique l'exorciste ? Pas tant que ça... Et si tout ceci était vrai ? Le style de Blatty ne s'embarrasse pas de paraphrase ni de folklore mythologique et encore moins de froufrous mystiques. C'est autant la plume du scénariste que celle du journaliste qui parle.
Personnellement, j'en attendais plus et il manque beaucoup d'éléments qui ont fait du film un chef-d'oeuvre.
Et si le style que Blatty empreinte à la prose journalistique était dû au fait que cette histoire est une histoire vraie ? Non, pas un simple fait divers, je veux dire une histoire vraie, une apparition du diable ! Aurions-nous l'idée de qualifier une apparition d’un hypothétique Christ dans je ne sais quelle église ou quel temple comme un simple fait divers ? Bien sûr l'athée que tu es cher lecteur s'offusque, s'irrite et tu t'apprêtes déjà à envoyer voler ton ordinateur vers les sphères célestes sous l'effet de la colère.
Mais la force de l'ouvrage de Blatty est là, tout comme la légende qui n'en est pas une : nous plonger dans le réel, nous éloigner du monde de la fiction en invoquant d'une façon tout à fait clinique et froide les événements qui plongèrent Chris MacNeil et sa fille Reagan dans le pire des cauchemars. Blatty reste extérieur à ses personnages et à aucun moment il ne s'engage.
L'auteur, en tant que journaliste curieux, est attiré par une étrange histoire. En 1949, Robby est un petit garçon comme les autres. Mais peu à peu des bruits étranges se font entendre, puis le petit garçon devient de plus en plus imprévisible. Aux dires de son entourage et de divers observateurs, Robby devient violent, il injurie avec force sa mère et les voisins. Ces derniers, effrayés par ce qu'ils ont vu brûleront quelques années plus tard la belle maison qu'a habité le garçon et sa famille dans la banlieue de Washington.
Le caractère violent du petit garçon n'est pas tout. Des objets se mettent à voler, défiant toutes les lois de la gravitation. Un prêtre jésuite constate l'état de Robby. L'exorcisme commence alors...
Blatty a pris connaissance de cette "histoire vraie" et voilà la genèse de son livre. Lorsqu'en 1977 le film sort sur les écrans du monde entier cette véritable histoire de possession servira d'élément de marketing aidant au succès du film autant qu'à celui du livre. Et en lisant ce dernier, avec ce style froid que l'auteur emploie et avec tout ce que l'on peut lire sur le sujet, tout prête à croire qu'effectivement il s'est bien passé "quelque chose". Notons d'ailleurs que le petit garçon Robby est toujours vivant, qu'il est à l'heure actuelle pilote de ligne et que tout va bien pour lui.
Blatty ne change rien au fait. Seule variante dans l'oeuvre littéraire, Robby est devenu Reagan. Les images de la petite fille se masturbant avec un crucifix sont bien plus choquantes dans le livre car plus explicites. Si l'auteur évite toute poétisation de son sujet, il ne lésine pourtant pas sur les détails justes et précis. Ainsi, au cours de la lecture on apprend énormément de choses sur la possession et sur le démon et l'on a presque parfois l'impression de lire un dico autant qu'un rapport de médecin. Ainsi, le mot qui pourrait le plus résumer l'oeuvre est : clinique. Cas clinique, écriture clinique, description clinique etc...
Effectivement, dans le livre comme dans le film, au début Reagan n'est qu'une petite souffrant d'une maladie étrange que l'on classe sous différentes appellations mais qui, au bout du compte, ne veulent pas dire grand-chose. La science médicale et tout son appareillage, si elle peut nommer, ne peut soigner cette maladie. Ce qui se nomme n'est pas ce qui se sait. Le savoir n'est pas la connaissance. Ainsi le livre de Blatty nous porte sur un terrain de réflexion où se mélangent les maux du corps et ceux de l'âme. Dernier recours la religion et son exorcisme.
En effet, tout le long du livre l'auteur maintient une obscure frontière entre la maladie nommée mais inconnue et le démon. Le livre s'ouvre sur le désert irakien du Nord, anciennement la Mésopotamie, terre du démon Pazuzu. Ce démon pourrait être celui qui possède Reagan. Pazuzu est le démon qui apparaît dans le vent chaud du sud et qui sème la maladie plus particulièrement la malaria. La boucle est bouclée. Reagan souffre d'une maladie innommable, ancienne et terrible.
Notons d'ailleurs que ce démon Pazuzu est un diable bien étrange sur lequel nous ne savons que peu de choses. Son rôle est assez ambigu et ses origines sont bien postérieures au christianisme. Si Pazuzu est celui qui apporte le mal pour certains historiens il pourrait être aussi celui qui guérit. J'en veux pour preuve cette pièce exposée au Louvre représentant Pazuzu avec la démone Lamashtu. Dans ce cas, Pazuzu ramène l'affreuse aux enfers, guérissant alors le malade. Qui guérit et qui tue ? Mystère... En tout cas, après cet éclairage pseudo historique difficile de ne pas appréhender le livre d'une tout autre façon... Je te laisse faire le choix, lecteur...
Reagan n'est pas le personnage central du livre. Le pilier de l'histoire, c'est Karras. Le personnage de ce prêtre est complètement atypique et il pourrait bien être la clef de cet ouvrage. D'abord psychologue, ses questionnements sur la nature humaine restant sans réponse, il se tourne alors vers la religion. Mais sa croyance n'est que doutes et ses interrogations vont devoir se confronter à l'innommable, à la maladie et à la mort. Personnage ambigu et porteur d'un message, Karras est un être plus sceptique que mystique et encore une fois l'auteur reste très extérieur à son personnage, ne levant jamais entièrement le voile sur cette personnalité double et mystérieuse.
Seule la fin du livre est un véritable fiasco et l'on préférera bien sûr la version cinématographique. Un brin trop manichéen, des dialogues qui sonnent faux et un style déplorable. Dommage car après nous avoir promené dans les eaux troubles du mystère et de l'horreur, cette fin aurait mérité mieux. Peut-être une écriture un peu plus aérée, plus fluide qui aurait laissé le lecteur en apesanteur, suspendu par un fil au-dessus de questions sans réponses.
L'exorciste reste tout de même une oeuvre forte dans laquelle se mélange interrogations et légendes et dont il est difficile de ressortir indemne. Bien sûr le film reste un bien meilleur souvenir que le roman même si ce dernier à le mérite au moins de mettre à terre certaines barrières qui bien souvent cloisonnent nos esprits rigoureux et cartésiens et qui nous empêchent de voir. L'exorciste, loin d'être une ode à Lucifer, démontre plutôt combien parfois il faut se méfier de la maladie et de la mort car sur ce terrain là, c'est toujours le diable qui gagne. "Oh toi le plus beau des anges, dieu trahi et privé de louange..."
Note : 4/10
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Cruisader