Le Diable amoureux
Oh jeunesse impétueuse, jeunesse toujours pressée, que l'interdit invite, que l'interdit excite, avide de savoir, sais-tu vraiment où tu vas, sais-tu vraiment sur quel chemin tu t'engages ? Le diable te plaît, te charme et tu t'en amuses, tu l'invites sous ton toit et tu en ries. Mais l'on ne joue pas impunément avec le malin. N'est-ce pas jeune Alvare ? Grisé de ce bon vin d'Italie à la robe rose, tu t'en vas, tout habillé du vêtement éclatant de la jeunesse, convoquer le Diable et jouer à l'apprenti cabaliste. Mais voilà, jeune Alvare, encore une fois, on ne joue pas avec le diable comme ça. Quatre métamorphoses, chameau, chien, valet et enfin femme. Comme Dieu c'est fait homme, le Diable se fait femme, et amoureuse qui plus est. Quelques crimes plus tard, quelques tentations plus loin, retrouveras-tu le droit chemin jeune Alvare ?
Après une première lecture, il faut l'avouer, ce livre écrit au XVIIIème siècle n'est pas forcement des plus palpitants… Et si vous avez bien lu la succincte présentation que je viens d'en faire, vous pouvez y déceler un peu de misogynie. Cette femme, succube, avide de connaître l'amour, jalouse et tentatrice, qui se fait diable représente une bien étrange humaine. La femme est un amour diabolique qui malgré tout cause des torts. Mais ce roman, un peu poussiéreux je vous l'accorde, est pourtant bien plus que cela.
Tout d'abord, pour nous passionnés de fantastique et peut être même d'occulte et de magie, il est un retour en arrière, comme un voyage au temps préhistorique de ce genre que l'on admire tant. On a coutume de dire, à tort ou à raison, qu'il s'agit ici dans un roman, et j'insiste sur le terme, de la première apparition du Diable. Le malin, bien sûr, existait bien avant Cazotte, on le trouve dans des fabliaux du Moyen-Age et il parait dans toutes les croyances populaires. Mais ici, Cazotte fait de Lucifer un homme, que dis-je une femme, à la psychologie complexe, détaillée et définitivement humaine, changeant quelque peu l'archétype que les siècles avaient crée. Mais encore une fois l'auteur n'est pas le seul à façonner un diable un peu plus humain que de coutume et pour ceux qui sont intéressés par le sujet, beaucoup d'auteurs (d'ailleurs souvent des hommes d'église) ont travaillé sur le sujet. Nous pouvons citer à titre d'exemple Lesage ou De Villars à la même période que Cazotte.
Mais si l'histoire est banale, celle d'un jeune homme poursuivi par une diablesse amoureuse, c'est plus encore la personnalité de l'auteur qui m'a amené à m'intéresser à cet ouvrage. Cazotte était-il un initié ? Ce livre nous délivrerait-il un message ? Cazotte lui-même aurait-il été visité par Lucifer ? Beaucoup d'anecdotes sont racontées à ce sujet et sur l'importance de la cabale dans Le Diable amoureux. Je ne crois pas qu'il faille forcement croire tout cela. Ce qui est sûr c'est que le style de Cazotte, qui sonne définitivement XVIIIème, n'est pas complètement inintéressant. Car, en quelques pages et avec brio, l'auteur sait dresser des portraits fabuleux, sait créer des personnages attachants. Il suffit de lire les deux premières pages pour s'en convaincre même si, encore une fois, je ne trouve pas ce livre des plus passionnants, du fait de son âge justement.
Cazotte est complètement dans son siècle, un siècle encore tout emprunt de baroque, où l'on use et abuse des effets, du grand guignol, comme le prouvent toutes les pièces à machine qui font fureur en ce temps, où des dieux vêtus d'or et des démons apparaissent de sous la scène, tombant du ciel ou je ne sais quoi d'autre encore. Le Diable amoureux joue aussi beaucoup sur cela, sur l'apparition inquiétante (oserais-je dire l'inquiétante étrangeté !), le brouillard, les zones d'ombres.
Le Diable amoureux est un roman de la raison et c'est ce qu'il a de plus agaçant. La conclusion du livre est simple : mieux que le Diable, trouve-toi une femme, marie-toi, devant un curé bien sûr, et si l'on va plus loin, trouve-toi un travail et suis à la lettre la morale sans te poser plus de questions que cela. Si le récit joue avec l'illusion et la peur, encore une fois c'est un thème baroque, c'est pour mieux nous faire l'éloge d'un être raisonnable. Marivaux est bien plus révolutionnaire, se moquant des classes et des genres, tout comme Beaumarchais. Et surtout, à la même époque, le marquis de Sade bien plus passionnant et lui seul s'attaque vraiment à cette stupide raison qui érige la morale judéo-chrétienne.
Alors si quelque part, bien sûr, Cazotte brave l'interdit grâce entre autres à la psychologie d'Alvare (jeune home qui se rie des apparitions et qui se fiche, au début du moins, du divin et du danger) et aux apparitions diaboliques, l'auteur reste à mon sens, lecteur lambda passionné de littérature fantastique et horrifique, un auteur beaucoup trop conventionnel même pour son époque.
Reste que Le Diable amoureux est une étape obligatoire, oserais-je dire épreuve obligatoire, pour tout lecteur de fantastique qui voudrait aller plus loin et comprendre l'une des origines de cette inquiétante étrangeté qui nous plaît tant. Ici sont structurées pour l'une des toutes premières fois au sein d'un roman des images archaïques qui, grâce à Cazotte, franchissent et font fondre les barrières de toutes censures. Une définition du fantastique et c'est en ce sens qu'il faut lire cette diablesse amoureuse et aussi pour l'amour d'une langue.
Note : 7,5/10
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