Le Déchant

Première surprise et pas des moindres, ce roman est accompagné de cinq nouvelles, fait assez surprenant pour le noter. Ensuite, deuxième surprise, le roman lui-même : un roman extrêmement surprenant, complexe et à l'écriture très pointue. Peut-être même un peu trop...
Et la complexité de l'ouvrage ne se limite pas à son intrigue ni même à son écriture, mais s'étend surtout à sa structure, alternant récit à la troisième personne, passages en italique d'une tierce voix, scènes théâtrales dialoguées et insert de coupures de journaux. Un joyeux collage assez hétéroclite pour nous conter la vie taciturne d'Isabelle, violoniste un peu ratée et passionnée de musique classique et contemporaine, surveillée par un inquiétant personnage sensé être un serial killer ayant à son actif le meurtre par éventration de plusieurs jeunes femmes. Ce sont d'ailleurs ces meurtres assez horribles qui font l'objet des coupures de presses qui ponctuent le roman.
Nous suivons donc les journées assez tristes d'Isabelle, claustrée dans un immeuble miteux qui doit être démoli dans les semaines à venir, passées entre Mozart, Debussy, Messiaen, Haendel, Schönberg et Haydn. Des musiques et des partitions qui la transportent dans un au-delà de la diégèse, dans un ailleurs assez peu compréhensible, tout en intériorité et conflits internes révoltés par un passé obscur.
A côté de cela, il y a des rencontres, racontées sur le mode théâtral avec mise en page et didascalies, avec un certain Christian, peut-être inconnu, peut-être amant, peut-être frère mais surtout peut-être pas réellement vivant. Un individu qui pénètre à son insu dans son appartement, peut-être tueur, peut-être violeur, ou peut-être simplement médium entre une Isabelle réelle et une Isabelle fantasmée. Impossible de vous en dire plus pour ne pas dévoiler l'intrigue de cet ouvrage, à la frontière entre fantastique et écriture contemporaine classique.

Le déchant est donc un roman totalement déroutant. Mais pas forcément dans le meilleur sens du terme. L'écriture de Gilbert Millet est subtile, habile, très intelligemment menée, tout en jeux sur la langue, sur les codes du fantastique, sur l'étymologie et sur les sonorités. Surtout sur les sonorités car la musique, la cadence, le rythme et la composition sont les maîtres mots de cet ouvrage, presque uniquement centré sur la musique et sur le Son, élément moteur de la vision mortifère du tueur, véritable sacerdoce qui le mène à la recherche perpétuel du Son ultime. Le Son des rues et de la vie.
Et cette recherche du Son transparaît à chaque page, à chaque mot du roman. Un exemple : "Vous êtes ma fourmi, recluse dans du verre, une bouteille à la mer, agitée par les vagues, sous ma loupe. Je m'amuse de vos vices ; je mise sur votre mort, Isabelle, mirabelle. Margelle pour les suicides ? Jouvencelle qu'on éventre ? Isabelle tour Eiffel, joli saut dans le vide, poutrelles pour rebondir ?" On est ici clairement dans une écriture très contemporaine axée sur les sonorités et les rapprochements syntaxiques, tel que pourrait l'écrire une Chloé Deleaume ou un Eric Chevillard. Mais dans le domaine des littératures de l'imaginaire ce style est assez rare. A tort ou à raison, d'ailleurs.
Le Déchant nous entraîne vraiment au coeur de la folie d'Isabelle, dans son esprit qui se fait de plus en plus obscur, et l'écriture nous rend cette confusion par un phrasé complexe et malmené, une syntaxe ardue et embrouillée. L'impact littéraire est énorme mais le plaisir de lecture en est d'autant réduit... La difficulté de lecture et de compréhension de cet ouvrage extrêmement confus est proportionnelle aux portions de l'intrigue demeurant inexpliquées et pour ainsi dire incompréhensibles.
Jouant sur les principaux motifs du fantastique, la folie, le double, les fantômes, Gilbert Millet nous rend par le style la confusion de ces personnages. Beau pari, mais le lecteur ne peut jamais vraiment suivre. On referme le livre en se disant que l'on a assisté à un très bel exercice de style, mais la lecture en est tellement ardue que l'on décroche très très vite. C'est très bien écrit, mais on s'ennuie à mourir. Une impression dérangeante demeure, mais l'on reste avec cette idée que l'on est passé à côté de beaucoup trop de choses et qu'en plus, c'était voulu par l'auteur.
L'effet de collage, de montage littéraire, est extrêmement intéressant car le livre alterne entre passages en italique reflétant les pensées du tueur et passages nous plongeant dans la folie d'Isabelle. C'est très fort et très risqué. Mais bon, autant faire un essai sur le fantastique et non pas un roman si ce n'est que pour nous assaillir de théorie littéraire et d'exercices syntaxico-narratifs.
On perd peu à peu le désir de s'attacher à l'histoire, les personnages perdent leur ampleur et leur consistance au fil des pages (ce qui est tout de même assez rare !) et en bref, on s‘ennuie ferme dans cette histoire confuse de fantômes aussi trouble que le passé des personnages. Reste alors les cinq nouvelles qui suivent le roman : de beaux textes, là encore dans un fantastique très pointu, stylisé et reflétant une très grande connaissance théorique du genre. Ca passe mieux que dans le roman, certes, mais ce n'est malheureusement pas cinq courtes nouvelles qui vont nous faire passer le goût amer que le Déchant nous laisse dans la bouche.
En lisant la quatrième de couverture, j'ai attaqué ce roman avec beaucoup d'envie et d'allant, pleine d'espoir et intriguée par cette alléchante histoire de tueur qui surveille sa prochaine proie, mais si vous me passez l'expression, ce roman m'a vite fait déchanter...

Note : 5/10
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