De Bons présages
(Good Omens)
De bons présages est le fruit d'une collaboration exceptionnelle, la réunion de deux grands talents de la littérature fantastique contemporaine et de la Fantasy, qu'elle soit urbaine ou non. Vous l'aurez compris, De bons présages est un roman écrit à quatre mains et pas n'importe quelles mains, celles de Neil Gaiman et celles de son excellent ami Terry Pratchett. Alors si l'on commence à parler de présages, quelque chose me dit qu'une collaboration de cette sorte en est un bon, et même un très bon...
Imaginez : l'immense talent de Neil Gaiman pour créer des ambiances envoûtantes, des univers urbains conquis par l'imaginaire, des frontières immatérielles entre la féerie et le réel, et le talent non moins immense de Terry Pratchett, armé de son humour mordant, de ses personnages désopilants et de ses situations invraisemblables... Secouez bien le tout, n'oubliez pas d’ajouter les notes de bas de pages si chères à Pratchett où les perles les plus drôles y sont logées, insérez une bonne dose d’amitié, de respect et de reconnaissance mutuels, une louchée de franche rigolade entres potes et vous aurez De bons présages...
Mais attention, même si Prachett est bien là et bien visible (ne serait que dans l'onomastique, une Anathème Bidule, ce ne peut être QUE du Pratchett !!), rien à voir avec la légèreté des Annales du Disque Monde et son humour omniprésent : au niveau de l'histoire, on est bien plus dans du Gaiman, le côté féerique en moins.
De bons présages est en effet une histoire d'apocalypse, de démons, d'anges et d'Antéchrist... Aziraphale est un ange, l'un des plus vieux de toute la création et il est aujourd'hui antiquaire et bouquiniste (mais attention de l'antiquité haute gamme, le genre d'ouvrages que vous ne pouvez posséder que si vous avez vécu près de quatre mille ans sur tous les continents possibles et que vous vouez à la culture un culte presque aussi grand que celui qu'un ange de très haut rang doit rendre à son créateur).
Quant à Rampa c'est un démon, l'un des suppôts de Satan, aussi vieux qu'Aziraphale. Rampa, s'appelait d'ailleurs Rampant il y a quelques siècles de cela, et il a dans le regard quelque chose de venimeux, de tentateur, dirais-je même. Vous me suivez ? Et oui, la pomme n'aurait sans doute pas été croquée sans l'aide d'un certain serpent... Enfin bref, je m'égare. Quoiqu'il en soit, Rampa cache ses yeux en fentes derrière des Ray ban très classes et adore rouler à fond sur les autoroutes à bord de sa vieille Bentley un peu trop rutilante pour son âge.
Un ange et un démon, quoi de plus classique me direz-vous ? L'éternelle lutte entre le Bien et le mal, entre le ciel et l'enfer... Oui, à peu près, sauf que même si Rampa joue continuellement des tours pendables aux hommes pour se faire bien voir de son supérieur direct et qu'Aziraphale vient continuellement en aide à son prochain, plus de deux siècles de promiscuité et de vadrouilles communes, et bien cela crée des liens... Aziraphale et Rampa ne sont donc peut-être pas les meilleurs amis du monde (question d'éthique, tout de même...) mais ils se supportent tout de même très bien et ont passé un pacte de non-ingérence dans leurs affaires mutuelles.
Et puis, une bonne soirée entre vieilles connaissances à se rappeler combien c'était mieux avant, combien le jardin était agréable avant qu'une certaine Eve ne vienne tout gâcher, ce n'est pas donné à tout le monde alors autant se serrer le coudes, parfois.
Et se serrer les coudes, ils vont avoir l'occasion de le faire quand ils vont découvrir que l'antéchrist est né et que l'Apocalypse doit se réaliser. Sauf que pour Aziraphale, ce n'est pas dans l'ordre des choses et que pour Rampa, ce pourrait l'être seulement s'il n'était pas condamné aux pires tourments de l'enfer pour avoir égaré le bon bébé, le bon antéchrist... Alors voilà, maintenant, le vrai antéchrist s'appelle Adam (!) vit dans la banlieue de Londres et le Cerbère des Enfers, voué corps et âmes à son maître en est réduit à s'appeler Toutou et à devoir prendre l'apparence d'un gentil bâtard. Dur...
Aziraphale et Rampa vont donc s'engager dans une course contre la montre pour sauver le monde et leur propre peau afin de retrouver le véritable antéchrist et de vaincre les Fléaux, les légions du diable... Ils vont bien sûr croiser sur leur chemin des personnages plus insolites les uns que les autres (Pratchett, sort de là, on t'a reconnu !) et les peurs enfantines vont se joindre aux phantasmes de l'enfance héroïque si chers à Gaiman.
De bons présages est donc un très bon roman, même si pour la fan de Neil Gaiman que je suis, il n'a pas la même qualité exceptionnelle que les autres. C'est très bien, c'est parfois drôle, mais parfois cela tombe aussi à côté et parfois il y a des longueurs. Mais souvent c'est très prenant, souvent c'est excellent, souvent les personnages principaux sont géniaux, mais parfois aussi, on décroche et on se dit qu'entre deux styles si différents, il faut choisir...
Le véritable intérêt de ce roman est donc à mon sens l'étroite collaboration qui se dessine sous nos yeux de deux monstres de la littérature fantastique contemporaine et la confrontation de deux univers et de deux talents. Mais il y a aussi Rampa... Et Aziraphale... Et si on n'est pas aussi triste qu'on voudrait l'être lorsque l'on referme le livre, on l'est pourtant de quitter notre ange et notre démon. Car à eux seuls, ils rattrapent véritablement les longueurs de l'histoire par leurs querelles, leur démesure et leur charme.
Alors De bons présages est une expérience. Une très bonne expérience même. Peut-être pas le meilleur ouvrage des deux auteurs mais de cela il ne faut pas s'en étonner. En tout cas, la preuve que deux auteurs de cette catégorie peuvent aussi s'amuser et faire de la littérature un terrain de jeu et d'expérimentation jouissif en confrontant leurs univers réciproques et en se faisant plaisir. Et le plaisir, ils savent aussi nous le transmettre et on ne peut que leur passer à ce prix certains petits défauts...
Note : 7/10
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