Conversations avec la Mort

Second recueil de nouvelles de Léa Silhol après les Contes de la Tisseuse, Conversations avec la mort rompt radicalement avec l'unité thématique de la fantasy et du merveilleux qui régissait jusque là la majeure partie des écrits de l'auteure. Ce recueil est lui aussi organisé avec une extrême maîtrise mais chaque nouvelle peut ici être différente de la précédente et de sa suivante, que cela soit dans le ton, dans le thème ou dans le style. Dame Silhol nous convie ici à un voyage qui nous entraînera vers le fantastique, du plus XIXè comme dans Lucifer Opiomane, très empreint de la patte d'un Gautier ou d'un Maupassant, au plus horrifique et au plus déstabilisant.
Mais vous croiserez aussi bien entendu sur votre chemin des créatures angéliques et ténébreuses, des Anges de la mort dont Léa Silhol a le secret pour dépeindre leur beauté de glace et de feu, des créatures monstrueuses d'un autre temps, au confins de la science-fiction et aux inspirations très clairement lovecraftiennes, et des vampires.
Chaque nouvelle est un petit bijoux à par entière et l'unité de ce recueil repose essentiellement dans sa structure : comme une nouvelle Schéhérazade, le poète, héros de ce recueil qui ponctue et énonce chaque récit, va en effet tenter de séduire et d'enchanter la Mort pour repousser, nuit à après nuit, ses édits. Le poète va exprimer des vérités essentielles sur les hommes, sur leur relation avec la mort, sur leurs sentiments, sur les limites de leur condition, sur la peur qu'elle leur inspire et sur l'attrait irrépressible qu'elle exerce sur eux.
Nuit après nuit, récit après récit, le poète va tente d'exorciser la Mort et de lui apprendre le secret des hommes, lui permettre de pénétrer leurs coeurs et leurs secrets les plus intimes, leurs pulsions les plus sauvage. Et la mort va écouter, assise au pied du poète. Et la Mort va revenir, douze nuits durant, douze nuits aux couleurs de cendre, du gris argent au gris graphite en passant par le gris de perle et le gris de maure.
Chaque nouvelle se décline sur un ton de gris, couleur de la nuit, du coeur des hommes et de la mort. Chaque nouvelle est un petit bijou sur l'amour à mort (Nos Funérailles), l'enfance et sa pureté (Xolotl), la musique et l'abnégation (Le lied d'intransigeance), la douleur ou encore l'amour impossible. Des thèmes universels pour raconter à la Mort ce dont elle prive les hommes, leurs tourments et leurs failles, leurs vices et leurs qualités. Pour que la Mort sache enfin qui sont et ce que sont ces hommes dont elle vient couper le fil de la vie, indifférente et hautaine. Un chef-d'oeuvre.

En plus de la beauté des nouvelles et de sa thématique, une dernière surprise nous attend à la fin de la douzième nuit, un dernier texte qui empreinte cette fois-ci la voix d'un autre narrateur, et un narrateur de choix puisque c'est cette fois la voix de Léa Silhol. L'auteure vient en effet dans Fins de Siècle nous proposer une postface en forme de confession, d'aveu ou d'art d'écrire. Léa Silhol nous parle ici avec simplicité de son travail, de son écriture, de la genèse de chaque nouvelle et du long processus de maturation qui est à l'oeuvre pour chacun de ses textes. Elle nous parle de la difficulté d'écrire mais aussi du bonheur de l'accomplissement, des nuits aussi blanches que les pages et de l'échec, de la solitude, des joies et des premières publications.
Nous découvrons des facettes jusque là inconnues de l'éditrice et de l'écrivaine, des faiblesses et des enthousiasmes et surtout des mots superbement choisis pour parler de son oeuvre. Et c'est un grand honneur qu'elle nous fait. Nous comprenons alors que la prêtresse est avant tout humaine et que ce recueil est le fruit de nombreuses heures de doutes et de labeur et surtout que nous lisons là ses toutes premières nouvelles.
"Le Lied d'Intransigeance" par exemple, l'un des premiers textes courts de Léa Silhol avec "Lucifer Opiomane" et "Discours direct : un Baiser de Vampire", ses premiers pas dans le genre de la nouvelle qu'elle réunit ici pour la première fois. Nous comprenons donc mieux la diversité de ses thèmes : c'est la diversité d'un écrivain qui se cherche encore, d'un talent en pleine éclosion et qui n'a rien à envier à ses écrits postérieurs. C'est le fruit des nombreux amours de l'auteur, de Lovecraft et du Vampire, à Stephen King et aux Décadents du XIX è siècle.
Ce recueil est donc essentiels à de nombreux égards : d'un point de vue littéraire en raison de sa très grande qualité et d'un point de vue humain pour connaître la genèse et les premiers écrits d'un écrivain de talent. Les détracteurs du style ample et ciselé de Léa Silhol ne pourront même pas le lui reprocher ici !
Conversations avec la Mort nous entraîne ainsi vers le coeur des hommes et est un très bel hommage à la force du mot et de la littérature : la structure en récits enchâssés explicitement empruntée aux Mille et une Nuits est une très belle trouvaille, pleine de subtilité et d'une grande symbolique : Schéhérazade repoussait la mort en contant nuit après nuit des récits à son roi qui voulait la tuer et ne pouvait s'y résoudre, tellement pris par son récit qu'il voulait attendre la nuit suivante pour en avoir la suite et le poète repousse ici la Mort matérialisée en lui contant des histoires sur le sujet dont elle est paradoxalement la plus vierge de connaissance et la plus avide : l'Homme...
Un recueil somptueux que vous n'oublierez pas de sitôt, une écriture enivrante et pleine de poésie, un très bel hommage à l'homme et à la mort, à la vie et à l'écriture.

Note : 9/10
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Chaperon Rouge



A propos de ce livre :

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