Boulevard des Banquises

Fidèle à ses thématiques de prédilection, Serge Brussolo nous offre avec Boulevard des Banquises un roman fantastique empli d'un atroce sentiment de perdition, de claustration, de culpabilité et de fascination morbide. Un roman aussi froid que la sinistre ville de Gottherdäl qui va être le théâtre de cérémonies funèbres, de folie dévastatrice et sur laquelle, sans relâche, va peser le froid mordant et délétère de la banquise.
Sarah, jeune romancière dans une mauvaise passe et en manque d'inspiration, va se trouver envoyée par son éditeur dans la petite ville de Gotterdhäl, "la dernière halte civilisée avant le Pole" pour rédiger un guide touristique. Elle va donc débarquer dans cette étrange ville aux coutumes extrêmement déstabilisantes et découvrir peu à peu son architecture glaciale et torturée pour un séjour de plusieurs semaines. Déjà, son trajet en train ne sera pas de tout repos : elle fera connaissance de l'énigmatique Judith et assistera sur la lande à un duel à mort dans la plus pure tradition du 19è siècle. Comme Sarah s'en rendra rapidement compte, cette ville perdue à l'écart du monde est entièrement régie par ses propres lois ancestrales qui n'ont que bien peu de rapport avec notre société actuelle...
A Gottherdäl, la vie semble pulser au rythme d'étranges rythmes : rituels expiatoires et processions de martyrs afin d'oublier et d'exorciser leur passé de naufrageurs, culpabilité inhérente à la vie de tous, interdiction d'allumer la lumière dès la nuit tombée, les derniers marcheurs devant s'aider de petites marques inscrites dans le mur pour trouver leur chemin dans l'obscurité la plus totale, vêtements à crochets expiatoires, sous-vêtement de douleur et d'infamie vous déchirant discrètement les chairs afin d'expier la souffrance collective des ancêtres de Gotterdhäl... Mais l'atrocité des crimes des habitants de cette cité remonte-t-elle véritablement si loin ? Et pourquoi les gargouilles et les statues de la ville, empesées de gel, semblent-elle continuellement appeler Sarah, la poursuivre de leurs regards mortels et inquisiteurs ? Et cet Iceberg monstrueux qui se rapproche inexorablement de la ville pour la broyer et l'engloutir, embrasant la ville dans la panique, le meurtre, la délation et le crime, quels terribles secrets recèle-t-il véritablement ?

Dans Boulevard des Banquises, l'accent est véritablement mis sur l'exploration de la souffrance et de l'âme humaines, les peurs et la culpabilité collectives, le crime ancien qui ronge sans relâche toute une population depuis longtemps à l'écart du monde, repliée sur ses rites et sur ses lois obsolètes. L'action ne vient qu'au second plan et très tard dans le roman. Comme tout ce froid qui régit la ville et ses habitants, ce froid mordant et dévorant semble ici tétaniser la narration et engloutir peu à peu le lecteur dans un engourdissement des plus profonds.
Ce roman est vraiment un livre d'ambiance, de climat pesant, d'interrogation et de mystère. On est tout le temps à la frontière entre réalité et fantastique, rêve et hallucination, surnaturel et perturbation des sens par l'aridité de la nature alentour. Jusqu'à la fin, on se questionne, on s'interroge, on argumente sur la folie de la narratrice, la folie des habitants de Gottherdäl, la folie des éléments sans savoir véritablement pour quoi opter. Jusqu'à la fin où paradoxalement le voile se lève enfin et le mystère s'épaissit... Une très belle fin, même si tout de même la chute est un peu bâclée.
Vous l'aurez donc compris, Boulevard des banquises est un roman fantastique assez atypique. L'histoire est bien prenante mais il y a tout de même beaucoup de longueurs. Beaucoup trop malheureusement. Pourtant, il y a vraiment de grandes qualités littéraires dans ce climat pesant, la froideur des descriptions en accord avec le climat polaire qui est à lui seul un personnage de l'histoire, si ce n'est le personnage principal. On est prisonnier de cette histoire envoûtante, même si quelques fois notre esprit s'évade, mais tout cela manque malheureusement trop souvent de rythme.
Mais malgré cela, ce roman vaut le détour : on est envoûté par cette descente aux enfers, vers la culpabilité de l'héroïne qui rejoint celle de toute une ville, par cette architecture glaciale et mouvante, cette plongée dans la noirceur des âmes et ce contexte de naufrageurs, ces hommes qui attiraient autrefois les navires et les faisaient s'échouer pour tuer leurs équipages et piller leurs cargaisons. Une face obscure et cachée de l'histoire humaine, taboue et pourtant bien réelle... Comme toujours Serge Brussolo montre ici du doigt la lâcheté des hommes, leurs traits les plus immondes pour en faire une plongée dérangeante vers les confins de l'angoisse et du mal-être. Ici certes un peu moins que d'habitude mais on retrouve tout de même des traits propres à ce grand auteur.
Donc peut-être pas le meilleur Brussolo, certainement pas d'ailleurs, mais un livre intéressant qui nous fait plus vivre une aventure psychologique qu'un réel roman fantastique. Un livre qui fait froid dans le dos et qui vous gèlera la conscience jusqu'à la dernière page, engourdis par le charme qui se dégage de l'écriture de l'auteur et par la longueur un peu déroutante de ses innombrables et interminables descriptions. Une expérience vraiment particulière...

Note : 7/10
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