Aux Yeux la lune

Michel Jeury est un vieux monsieur de plus de 65 ans aujourd'hui et il a depuis longtemps déjà quitté le rayon de la SF pour se consacrer au roman régional. Mais en lisant Aux yeux la lune, publié en 1988, on le regrette presque.
Ce roman est une petite merveille car il déjoue tout les carcans de la SF, ne s'enlise dans aucun archétype ou déjà vu et nous délivre une oeuvre à la fois poétique et à la haute valeur philosophique. Certes c'est un peu long, un peu ardu, mais tellement original !
Le futur. Grâce à Sem, "l'ordinateur sémiologique aux pouvoirs quasi divins", les hommes peuvent vivre éternellement. Mais qu'est ce que l'immortalité ? Une longue vie, très longue, où à la fin on finit par s'ennuyer. Alors tous ces hommes qui vivent éternellement sont aussi des enfants, qui tous les jours s'amusent, qui tous les jours découvrent et pour qui, tous les jours, on invente de nouvelles occupations (fausses guerres, voyages sur la terre des non immortels)... Ces enfants immortels sont des seméens.
Mais voilà, un jour Sem s'endort du grand sommeil et terminée l'immortalité, terminé le paradis, voilà la vraie vie, la douleur, la guerre, les choses que l'on ne comprend pas, que l'on n'arrive pas à nommer (par exemple ce chien qui change toujours de nom) etc... Les enfants doivent grandir. C'est triste mais c'est ainsi. Les seméens semblent alors tomber de la lune et se répandre sur un monde qui n'est pas le leur.

Ne cherchez pas ici de course poursuite intergalactique, de combat au sabre laser, l'écriture de Michel Jeury est plus proche d'une poésie sombre, où les enfants cherchent à survivre dans l'absurdité d'un monde adulte, que de l'action. Aux yeux la lune est une oeuvre philosophique qui interroge sur la mort de Dieu : est-elle possible ? Qu'est ce que Dieu ? Etc. Une interrogation complexe mais o combien profonde et intéressante. La question que nous pose l'auteur est : sommes-nous capables d'être libres ? Je vous laisse découvrir la réponse, mais avec ou sans Dieu, libres ou pas, il semble y avoir toujours des guerres et des tortures, que des hommes pratiquent comme un jeu ou un sport.
Que serions-nous dans un monde inconnu, je veux dire dans un monde vraiment nouveau où nous ne pourrions rien nommer, où ne nous connaîtrions vraiment rien ? C'est tout à fait l'ambiance de ce livre, une SF compliquée mais aussi belle et originale. On ressent à la lecture de ce roman comme un arrière goût d'Alice au pays des merveilles. Peut être à cause de ce monde enfantin...Je ne sais pas. C'est beau.
Michel Jeury joue avec les mots, nous montrant qu'inventer un univers en SF ne consiste pas qu'à inventer de nouvelle machines ou de nouveaux concepts scientifiques mais plutôt à inventer un nouveau vocabulaire. La SF, si elle est littéraire, doit jouer avec le langage. Jeury y arrive plus ou moins. Certes c'est jouissif, certes c'est beau mais le livre est long, trop long car c'est aussi complexe et ardu. Difficile d'être captivé dans ce cas là directement par le livre. On le lit, on le repose, on y revient... Pour au final terminer ce roman et en sortir un peu moins bête, avec plein de questions dans la tête.
Voilà un livre que je conseille aux plus cérébraux d'entre nous. En tout cas, Aux yeux la lune prouve définitivement une chose : la SF n'est pas qu'une littérature de gare pour ado mal dans leur peau. Elle peut même parfois, et c'est le cas ici, rivaliser avec les plus grands noms et concepts de la littérature et de la philosophie. Un livre complexe, souvent trop même, mais au combien passionnant.

Note : 7/10
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Cruisader



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