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#1 2017-06-16 20:40:06

Gernier
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[M] Jabberwocky [Masato Hisa, 2015-2016]

Titre : Jabberwocky
Auteur : Masato Hisa
Traduction : Akiko Indrei et Pierre Fernande
Année : 2015-2016
Pagination : 7 vols. finis.
Genre : Steampunk, western, espionnage, dinosaures

http://www.manga-news.com/public/images/vols/jabberwocky-1-glenat.jpg

Le Jabberwocky, patronyme d'un dragon figurant dans le célèbre poème de Lewis Caroll, incarne à la perfection l'esprit de cette courte série qui compose un vrai méli-mélo d'influences tout en conservant son originalité.

Et si les dinosaures avaient échappé à l'extinction promise par le monstrueux caillou stellaire ? Et si ceux-ci se dissimulaient au sein des nations humaines, organisant tractations et machinations politiques pour évincer les mammifères et reprendre le contrôle de la planète. Tel est le point de départ de l'intrique qui, sur fond de steampunk, va dérouler son canevas abracadabrantesque avec maestria.

Le mangaka Masato Hisa possède un style à nulle autre pareille qui tranche avec les liminaires de shônens trustant les étagères des libraires. Son noir & blanc rappel la griffe rude et sèche d'un Frank Miller période Sin City. Quelques rares trames viennent parfois détacher un petit détail important, ou un personnage dans le cadre. Simplification et élégance, voilà les maîtres mots du dessinateur. Dans les premiers tomes de la série, l'auteur se cherche aux détours des cases et des scènes d'action. En résulte un peu de confusion, mais cette gêne, passagère, ne gâche en rien un scénario dans lequel tous les éléments installés finiront par se révéler pertinents et construire une œuvre pleine et entière.

En prime de l'originalité du concept de départ, Masato Hisa s'appuie sur un réseau de références hallucinantes qui ne handicape jamais la narration, mais qui au contraire la nourrit et participe à son ambiance très particulière[1]. Le brassage entre la littérature classique - Alexandre Dumas, Jules Verne, Herman Melville... - et la série B italienne, western spaghetti en tête - Les trois Sergio sont de la partie (Leone, Sollima et Corbucci) - pourra en interloquer plus d'un, et pourtant cela fonctionne à merveille. De même que les nombreux dinosaures humanoïdes qui hantent ces pages possèdent-ils des capacités spéciales en rapport direct avec leurs homologues préhistoriques. L'éventail des espèces exotiques démontre là aussi une vraie recherche de la part de l'auteur qui s'amuse comme un petit fou avec son postulat de départ. Au fur et à mesure des épisodes, l'on croise l'oviraptor [2], le Thérizinosaure et ses immenses griffes, l'Archéoptéryx ou encore les Pachycéphalosaurus... Tous participent à une intrigue remarquablement construite.

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Le scénario tourne autour d'une organisation internationale secrète, Le Château d'If, qui tente d'apaiser les tensions entre les dinosaures et les humains. Ancienne assassin pour le compte de sa gracieuse majesté, Lily Apricot va être recrutée par les agents du comte de Monte-Cristo pour intégrer son équipe. Personnage haut en couleur, pochtronne invétérée, Lily joue avec une certaine dextérité du canif si la situation le requiert. Son partenaire, le pistolero Sabata Van Cleef [3] un oviraptor que la mise au ban traumatique des siens - son espèce est haïe en raison de son régime alimentaire - a empli de rancœur. Ténébreux et redoutable, notre flingueur à écailles s'attachera, au fur et à mesure des missions, à l'humaine d'une façon très déraisonnable. La dynamique de couple entre les deux protagonistes, amenée en douceur, nous vaut quelques séquences d'humour assez croquignolesques. Notre duo aura cependant fort à faire face au Quetzalcóatl, une organisation ayant juré la perte des mammifères. Sans déflorer la saveur d'une intrigue astucieuse, disons juste qu'en utilisant de toutes les ficelles du steampunk, Masato Hisa parvient à consolider son univers en cuisinant des éléments qui confèrent du sens à la trame principale et qui - vu de notre époque - se doublent d'une cruelle ironie dramatique, rarement atteinte dans ce type de manga.

Notre duo de choc et de charme parcourt le globe. De la Russie, à la Chine, ils pourchassent les agents adverses avant que leur traque ne s'achève là où le vingtième est né : les États-Unis. Un symbole national ou particularisme culturel de chaque pays visité est détourné de sa fonction première pour intégrer le plan démoniaque des dinosaures du Quetzalcóatl. Même la Bible subit la plume ironique de l'auteur qui s'amuse avec l'histoire pour mieux enrichir son scénario. Lettré, mais sans aucune prétention professorale, Misato Hisa apporte par cet aspect un petit supplément d'âme à son récit. Des éléments qui n'ont pas l'air de prime abord indispensables, mais qui, en fin de compte, manquent à nombre de mangas qui ne proposent que des mondes de fantasy n'étant que de pâles photocopies de ce qui existent déjà dans cette littérature. Plutôt de que de créer de toutes pièces un univers bancal, Masato Hisa préfère se saisir d'ingrédients présents dans notre réalité pour mieux enraciner son propre microcosme. Une astuce scénaristique redoutable, intelligente et ludique que Masato Hisa utilise avec une parcimonie consommée, celle-ci ne prenant jamais le pas sur la narration générale.

En tous points réussi, Jabberwocky vaut plus que la réception très tiède qu'il a connu sous nos latitudes. Le style très personnel de l'auteur a constitué une entrave rédhibitoire pour un public habitué à une certaine standardisation que ce soit au niveau des sujets ou celui de leurs traitements. Pourtant, cette courte série prouve - si besoin est - que le BD Japonaise possède toujours la capacité de se renouveler en usant de concepts loufoques - qui aurait parié sur la pertinence de l'idée saugrenue de ce scénario ? - pour le pousser dans leurs ultimes retranchements. Au final, le mieux est encore que vous lisiez cette œuvre, un des meilleurs écrits ces dernières années, pour construire votre propre avis.

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[1] - Dans le même ton, entre références pointues et originalité scénaristique, citons l’excellente tentative française "City Hall" qui parvenait a utilisé son postulat de départ pour créer un univers cohérent.

[2] - Des recherches récentes ont invalidé la signification première de son nom : cet animal aurait été un carnivore, plutôt qu’un mangeur d’œuf...

[3] - Ce patronyme est une déclaration d’amour au western rital...

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