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#1 2008-11-27 15:33:38

Kalys
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[M] [Itw] Fabrice Colin - Utopiales 2008 toujours

Première interview dans l'ordre chronologique des Utopiales, Fabrice Colin m'a donné du fil à retordre :) A l'affiche, deux bandes dessinées parues aux éditions de l'Atalante, Gordo et Nowhere Island, mais c'est sans compter son imposante bibliographie, qui vaut le détour, tant par sa diversité que par sa qualité. Rencontre.

http://www.audiable.com/resources/persons/98.gif
(Photo: le Diable Vauvert)


Tu as beaucoup écrit pour la jeunesse. Qu'est-ce qui te plaît dans ce travail, et en quoi est-ce différent d'écrire pour des adultes?

J'ai commencé à écrire pour la jeunesse en 2001, donc trois ans après avoir commencé à écrire pour les adultes. Je ne suis pas vraiment friand de concepts : je préfère les images, les ambiances, raconter des histoires. A cet égard, l’écriture pour la jeunesse me convient très bien.
Aujourd'hui, beaucoup d'auteurs de science-fiction « pour adultes » se mettent à écrire pour la jeunesse. Pour des raisons financières, d'abord. Car c'est un marché, et un marché qui est plutôt en demande ces temps-ci, notamment dans le domaine des littératures de l'imaginaire. Ayant commencé il y a sept ans, je peux difficilement être taxé d’opportunisme. La vérité, c’est que j’en avais envie. Il me semble que deux composantes coexistent dans ma personnalité d'écrivain : l'une qui affectionne les textes torturés, compliqués, que je destine aux adultes. La fantasy, elle, s'adresse à la jeunesse, la jeunesse au sens large – les gens qui ont l'esprit jeune. J’en publie donc dans des collections jeunesse, ainsi que de la SF vulgarisatrice.
En somme, j'ai besoin d'alterner des histoires sombres, compliquées, personnelles, alambiquées, et qui ne procurent pas forcément au lecteur une impression qu'il est en droit d'attendre d'un livre normal, avec des choses plus simples, basiques – une envie de raconter qui remonte sans doute à la pratique des jeux de rôles.
Cette constante oscillation me convient à merveille.

Tu as récemment travaillé sur deux bandes-dessinées. Comment se déroulent ces collaborations? Vois-tu ces expériences comme une autre facette de ton travail d'écrivain, ou est-ce un travail vraiment différent, un autre médium artistique?

C'est quand même assez différent.
Assez prosaïquement, quand j’ai commencé la BD, j'avais envie de rompre avec la solitude de l'écrivain. Quand tu écris, tu es vraiment seul. Les rares personnes que tu peux rencontrer, ce sont les éditeurs, mais tu ne les vois pas tous les jours, et c'est vrai qu'au bout d'un moment, cet isolement commence à peser. Ayant travaillé dans un journal de jeux vidéos, ayant travaillé dans le jeu de rôle aussi, je ressens une nostalgie, un manque : parfois, j’ai besoin du travail en équipe.
Et puis je ne sais pas du tout dessiner. Je suis toujours fasciné par le dessin et par le fait que quelqu'un puisse s'emparer de ce que j'ai écrit et en donner une interprétation, quelle qu’elle soit. Ce qui fait que, paradoxalement (et ce n'est pas forcément un avantage), je ne suis pas très critique : dès que quelqu'un dessine un truc, je trouve ça extraordinaire.
J'ai une curiosité, une soif qui me pousse vers plein de médias différents : j'écris pour la radio, j’écris des nouvelles ; mon cerveau est en ébullition permanente, et chaque idée qui me vient doit être formalisée, évidemment. Là commence le questionnement : qu’est-ce que j’en fais ?
Prenons Gordo, une BD que j’ai sortie il y a quelques mois chez l’Atalante :  c'est une histoire qui fait appel à l'imagerie des années 50, et dans laquelle le côté graphique est primordial. Alors, sans doute, l’histoire pourrait être racontée sous la forme d’un roman,  mais ce serait vraiment quelque chose de très différent, et de pas forcément aussi pertinent. Chaque histoire commande sa forme, d’une certaine manière.

Mon travail dans la BD relève plus de l'artisanat, je trouve : il y a un côté technique plus poussé que dans le roman ; mais il y aussi une grande liberté...
Le travail avec le dessinateur, c’est très variable : je connais des dessinateurs qui ont besoin d’énormément d'indications, de précisions, de contraintes… et d'autres qui ne demandent que du texte, et se débrouillent parfaitement sans moi. En général, moins j'interviens, mieux c'est. Je suis toujours gêné de dire à un dessinateur « alors voilà, cette planche doit faire exactement huit cases, et il faut que dans la septième le type soit de profil. » J'ai envie, avant tout, que le type (ou la fille) s'éclate et soit heureux ! Car il/elle n’en travaillera que mieux.
L'écriture de roman est un processus très narcissique ; celui sur la BD me paraît plus altruiste. En BD, je n'arrive pas forcément tout de suite avec une histoire, d’ailleurs. Souvent, je demande d’abord au dessinateur ce qu'il aime. Cela a été le cas avec Gordo : Fred Boot m'a juste confié qu'il aimait bien les années 50, et puis il m’a parlé de ce singe, le premier à avoir été dans l’espace... Souvent, les dessinateurs évoquent une idée personnelle. J’en suis ravi. Bientôt, ils s'aperçoivent que raconter une histoire, la construire, c'est aussi un métier et que, même s'ils ont des très bonnes idées, ils ne sont pas forcément capables de faire ce métier-là. Pour moi, c'est une sorte de soulagement de constater qu’ils n’en sont pas capables… (rires). Savoir qu’on ne sait pas dessiner, en effet, c’est assez évident : on se met devant une feuille, et voilà. Mais l’écriture… Tout le monde a appris à écrire. Tout le monde a des idées. Il est facile de se nourrir d’illusions.
Au final, je pense qu'il existe presque autant de dessinateurs qui ont besoin de scénaristes que le contraire. Tout est dans le « presque ». 

J'ai été très surprise de constater le cynisme dont tu fais preuve sur ton blog, qui contraste énormément d'après moi avec tes textes qui sont très poétiques, surtout les nouvelles. Est-ce un exutoire obligatoire?

Un petit peu, parce que... Dans un roman, ou une histoire, il est question de don avant tout. On doit donner quelque chose aux gens : a priori du plaisir... On a envie qu'ils soient contents, qu'ils soient transportés, après tout, ils paient pour ça, c’est une forme de contrat. Enfin, j’expose ça de façon très terre-à-terre, mais c’est l’idée que je m’en fais. De surcroit, le roman n'a jamais été une plate-forme d'expression politique ou idéologique à mes yeux. Certaines personnes défendent une autre approche, un discours différent, que je respecte tout à fait mais dans lesquels je ne me retrouve pas. Je suis souvent gêné par les romans à fort contenu idéologique.
Le blog... On ne sait jamais vraiment trop comment ça commence... Des frustrations, peut-être. Des envies de dire des choses qui ne sont pas satisfaites.
Sur mon blog je ne réponds quasiment pas aux commentaires, je ne rentre pas dans les polémiques.  Si les gens ne sont pas contents ; tant pis, s'ils ne veulent pas lire, ils ne lisent pas ; s'ils ne sont pas d'accord, ils peuvent le faire savoir : je ne censure pas.
Mon blog me permet d’émettre des considérations littéraires ou politiques qui n’auraient pas leur place ailleurs. Il ne faut pas en faire une montagne. C’est quelque chose de très narcissique, mais personne n’est obligé de lire. Si personne ne venait, du reste, j’arrêterais.
Je n’essaie pas de me faire aimer. Je fournis quelques infos sur mes sorties, mais assez brèves. Je ne dirige pas le lecteur vers des critiques de mes livres. Je n’essaie pas de le convaincre que je suis un super écrivain. Je dis ce que je pense, j’essaie de faire partager des coups de cœur, des pensées, des colères, et c’est tout. Cela peut amener des gens à me lire, je mentirais en disant le contraire, mais dans des proportions très modestes, pour ce que j’en sais. Sans compter que l’effet escompté peut se retourner contre moi : « j'aime bien ses bouquins mais ce type a l'air d'être un sacré connard. Je devrais peut-être arrêter… »

Tu es un auteur incroyablement prolifique. Comment fais-tu? Est-ce que pour toi tout est matière à écrire?

Je pense que cela vient de la pratique des jeux de rôles : il y a quinze-vingt ans, on était obligés de produire beaucoup pour pas grand-chose.
Je rédige toujours des premiers jets très rapides : je peux écrire jusqu’à 30 000 ou 40 000 signes par jour. Si on ramène ce chiffre à la taille d’un roman jeunesse standard (200 000 ou 300 000 signes), le calcul est vite fait : concrètement, le premier jet peut être terminé en dix ou quinze jours. Mais ça ne veut pas dire grand-chose, cette vitesse, ce n'est pas une fin en soi, c'est juste mon mode de fonctionnement. Par la suite, je vais réécrire une fois, deux fois, trois fois puisque, évidemment, mon premier jet est  très loin d'être parfait. Mais je crois à cette spontanéité. Elle m’est nécessaire.
Même quand on n'a pas des masses envie d'écrire, il faut y aller : le travail appelle le travail, et c'est ainsi que j'arrive à écrire sur trente ou quarante jours, par exemple, un gros roman : une habitude à prendre. Je compare ça à la course de fond : au bout d’un moment, on trouve un second souffle et on se sent bien. A un certain niveau, l'écriture me fait du bien physiquement. Pour autant, je ne pourrais pas faire ça tout le temps, tous les mois, toute l'année... C’est assez imprévisible, voire incohérent : je peux écrire pendant les vacances par exemple (entendre par là : les moments où je pars de chez moi) et passer trois semaines chez moi à ne rien foutre.
Par contre, en ce qui concerne les projets, là, oui, il y a un vrai foisonnement : j'ai toujours une dizaine d'idées différentes en tête, à des stades plus ou moins avancés. Très souvent, les projets avortent, ou restent en sommeil, mais les idées restent, et elles sédimentent. Je me suis rendu compte assez récemment que la plupart des romans que j’écrivais étaient issus d'idées que j'avais eues généralement deux ou trois ans auparavant.
De façon générale, l’inspiration ne m’a jamais fait défaut. J’ai cette espèce de curiosité intellectuelle (un mélange de curiosité et de jubilation pour être plus précis) qui fait que j'ai sans cesse envie d'explorer plein de pistes et des thématiques différentes. Ecrire des choses, c'est aussi l'occasion d'apprendre. En ce moment, je suis en train de rédiger un roman historique sur des événements que je ne connais pas forcément très bien : je « découvre » tout ce que je n'ai pas appris en cours d'Histoire parce que ça ne m'intéressait pas à ce moment-là.
Un écrivain, à mon sens, est quelqu'un qui doit conserver une capacité d'émerveillement par rapport au monde.
Potentiellement, tout peut être sujet d'écriture. Une histoire naît souvent d’une petite étincelle, pas forcément spectaculaire. Tout dépend de la façon dont on s’y prend. Une éditrice m’expliquait récemment qu’elle ne signait jamais de romans sur synopsis, parce qu’un synopsis, ça ne dit strictement rien sur l’écriture, la magie, la transmutation.
Imaginez qu'on vous raconte le pitch de A la recherche du temps perdu : ça ne va pas forcément vous paraître passionnant ! A côté de ça, il y a des gens qui sont très forts pour te sortir des résumés incroyables, deux-trois lignes, et tu te dis «  ouah, ça va être génial! »… et finalement, l'écriture n'est pas à la hauteur, le soufflé retombe.

Pour finir, je voudrais savoir si la thématique du réseau qui est à l'honneur t'inspire quelque chose.

Les organisateurs doivent chercher des thématiques : c’est leur croix. Souvent, le processus est assez nébuleux. Peut-être que cette année, ils se sont dit « bon, on va inviter William Gibson » et que, ensuite, ils en ont déduit la thématique du réseau. Mais peut-être pas. Moi, les réseaux, ça ne m'inspire pas grand-chose en soi... C’est trop abstrait. Tout à l’heure, je participais à une table ronde sur les jeux en réseaux , mais il se trouve que je n'y joue pas donc...

Mais qu'est-ce que tu faisais là? (Rires)

Mais j'en sais rien! C'est très marrant, c'est vraiment un truc de salons, ça : les gens décident d'un sujet et ensuite, ils remplissent les cases. « Lui, il a environ 35 ans, il joue certainement. » Ah bah non, pas de bol ! Le seul truc qui me console, c’est que les autres participants étaient encore plus à l’ouest que moi. 

Mais d'un point de vue métaphorique, pour un écrivain... enfin, j'aime bien les métaphores, mais je pensais, un réseau ça peut simplement être un réseau d'histoires , l'idée de tisser une toile, à la façon de Léa Silhol ou de Clive Barker...

Oui. Mais comme je le disais, je ne suis pas très « concepts », comme garçon, je ne réfléchis pas beaucoup, je ne « pense » pas mes romans. Cela ne veut pas dire que quelqu'un d'autre ne peut pas le faire à ma place, au contraire – c'est assez marrant d'ailleurs, parce qu'il y a des gens qui produisent des analyses assez poussées...
Pour moi, l'écrivain, c'est un peu l'idiot du village. Ou une éponge, un filtre, un passeur, un alchimiste qui transforme le matériau de la réalité en une histoire. Il ne sait pas comment il fait, il ne sait même pas pourquoi il raconte cette histoire plutôt qu’une autre, mais un bon roman, ça doit faire ça, aussi, et surtout : offrir matière à interprétation. Susciter la rêverie, et donner de la vie.

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#2 2008-11-27 16:42:06

Chaperon Rouge
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Re: [M] [Itw] Fabrice Colin - Utopiales 2008 toujours

Et beh, notre reporter en chef est efficace ! big_smile

C'est vraiment très intéressant, encore un grand merci à vous deux  !!

(NB: je rajoute les photos pour faciliter la mise en page lors des prochaines mises à jour)


"Life is not measured by the number of breaths we take,
but by the moments that take our breath away."

http://www.editions-lokomodo.fr/

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#3 2008-11-27 19:31:42

wynyard
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Re: [M] [Itw] Fabrice Colin - Utopiales 2008 toujours

Fabrice Colin, c'est bon, c'est bien.


Le respect oui, mais sans violence.

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#4 2008-11-28 18:18:44

Le Cimmerien
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Re: [M] [Itw] Fabrice Colin - Utopiales 2008 toujours

Tres belle interview!!!


"Parfois mieux vaut relever un défi et se tromper que garder le silence". Robin Hobb.
"La vie n'est qu'un Virus fragile accroché à une gouttelette de boue  au milieu du néant" Alan Moore.
"Un glaive bien lourd vaut mieux qu'un long discours" Proverbe Cimmérien.
Mon Myspace : http://www.myspace.com/cimmerien

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#5 2008-11-28 21:50:19

Kalys
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Re: [M] [Itw] Fabrice Colin - Utopiales 2008 toujours

Merci smile
(quoi que je m'aperçoive en l'écrivant que je n'y suis pour rien big_smile)

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