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#1 2008-12-01 14:26:14

Kalys
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[M] [ITW] Lionel Davoust

Auteur de nombreuses nouvelles, rennais (big_smile), Lionel Davoust nous emmène, d'un texte à l'autre, dans des univers variés mais toujours d'une grande richesse, tant thématique que stylistique. C'est avec un très grand bonheur que je vous présente l'interview de celui dont on entendra, à coup sûr, reparler très prochainement!


http://www.editions-glyphe.com/images/48/auteur_1476.jpg


En lisant L'île close, j'ai été frappée par ton approche, à la fois littéraire et théorique, de la question. Lis-tu beaucoup d'ouvrages de recherches? Y trouves-tu une inspiration?

Cela dépend du texte et de l'idée. Pour L'île close, j'ai eu cette idée d'archétypes qui revivent tout le temps la Geste ; ça a nécessité pas mal de documentation pour essayer de mettre en regard les figures, les symboliques qui s'offraient. Mais cela dépend vraiment du sujet. Je lis pas mal d'ouvrages techniques, plutôt anglo-américains, sur l'écriture en soi, un tout petit peu de narratologie, de petites choses qui sont vraiment d'ordre pratique. Je ne suis pas un grand amateur d'effets littéraires en soi ; je préfère lire les oeuvres et me faire une opinion moi-même. En fait, je n'accorde d'importance à la technique que dans la mesure où j'estime que l'écriture est un métier. Donc, qui nécessite de la pratique, du travail, etc. J’imagine que cela me conduit à m’interroger sur l'écriture, sur la place de l'art dans nos cultures.

Oui, c'est précisément ce qui m'avait intéressée dans cette nouvelle : le fait que ton texte portait tout à la fois sur l'histoire, et sur l'essence même du mythe, c'est-à-dire, la façon dont il dépend d'une réalité tout en agissant sur elle. La manière dont il existe, indépendamment de ses créateurs, qui ne le maîtrisent plus.

Je suis un grand amateur de Jung et de tout ce qui tourne autour de la force des symboles et des images, de ce que cela signifie pour les individus, dans nos existences, leur valeur par rapport au sens commun... Je nourris un fatras culturel un peu psychanalytique / psychologique. Mais après, je m'amuse à jouer avec ; je n’ai aucune prétention de maîtrise théorique de la chose, je me renseigne autant qu’il est possible pour ne pas dire de bêtises, cependant mon but consiste à essayer d'en faire une histoire intéressante. Qu'est-ce qu'une histoire, la valeur d'une représentation, la recherche de soi par rapport à un récit ? Ce sont des thèmes qui m'intéressent beaucoup, et c'est vrai que les mythes et la narration font partie des questions extrêmement structurantes pour les sociétés.
Pour résumer rapidement, pour moi, un texte de fiction sera toujours inféodé à l'histoire qu’il raconte ; dans ce cadre, jouer avec les mythes, jouer avec les symboles, est passionnant – et ça m'éclate. J'essaie de faire les recherches les plus approfondies possibles, mais la recherche est là pour appuyer le texte, ça ne suffit pas en soi ; moi, je veux d’abord un récit.

Dans Regarde vers l'ouest, ton personnage est, en quelque sorte, en quête d'un absolu qui n'est pas tout à fait compatible avec la vie quotidienne. Est-ce que c'est ta façon d'envisager l'écriture ?

Très personnellement, peut-être. En ce qui me concerne, c'est vrai que je suis très en butte à certaines opinions sociales, où l’on vous dicte que pour avoir une vie réussie, il faut obligatoirement avoir fait telle chose ou telle chose, comme un mariage et trois enfants... Je ne vois pas en vertu de quoi. Moi, ma « came », c'est l'écriture, la fiction, les récits, quelle que soit leur forme, et je ne vois pas de quelle autorité on me nierait cette façon de vivre. Ce que j'essaie plus ou moins de dire dans Regarde vers l'ouest, si message il doit y avoir, c'est que, quand on arrive à l’âge adulte, on a tous un cerveau, on a tous des envies, des rêves, etc. ; pourquoi, une fois arrivé à l’âge de vingt, vingt-cinq ans, faudrait-il délaisser ces rêves et devenir prétendument « adultes » ? C’est un discours qu’on entend. Moi, cela me pose un problème ; en dehors du fait d'être indépendant, de gagner sa vie et même s'il y a évidemment des priorités de l’existence avec lesquelles il faut composer, on a tous un libre-arbitre et le droit et gérer sa vie et ses rêves comme on le souhaite. Si ça implique, comme Travis dans Regarde vers l'ouest, de vivre une vie quasiment monacale pour son art... Eh bien, soit.
Maintenant, il y a des auteurs infiniment plus expérimentés que moi qui ont des vies de famille épanouies et développées. Ce n'est pas incompatible, c'est juste une vision à un moment ; pour Travis, ce n'était pas son truc parce qu'il était en train d'essayer de débuter sa carrière, pour lui, l’enfant tombe comme un cheveu sur la soupe. Il n'y a pas de réponse absolue, l'erreur c'est juste de vouloir imposer à l'autre sa vision. Chacun fait ce dont il a envie, ce qui l'amuse – s’il le sait, bien sûr... Bref, on peut mener une vie artistique et une vie de famille, il y a des gens qui font ça très bien. Mais je déteste la citation de Compay Segundo qui affirme que pour réussir sa vie, un homme doit planter un arbre, écrire un livre et faire un enfant ! Elle est jolie, sa phrase, mais je ne vois pas ce qui dicte ces impératifs. Si chacun, à partir du moment où il mène sa vie dans son coin, trouve sa plénitude... Laissez les gens faire ce qu'ils veulent, bordel !

Pourquoi vers l'ouest? C'est une référence aux Doors?

Non! (rires). Ça aurait pu. C'est toujours cette idée qu'effectivement, des gens, arrivés à l'âge adulte, notamment à vingt-cinq ans, remisent un peu leurs rêves d'enfance... Je ne dis pas qu'il faut rester complètement dans ce monde acidulé et doré de l'enfance, mais à partir du moment où des choses nous animent, nous font vivre, il faut les suivre – en restant un tant soit peu réaliste, évidemment, faut pas devenir un boulet – mais il faut s'efforcer de les suivre, et de les vivre jusqu'au bout... Sinon, finalement, c'est un peu un crépuscule avant l'heure, et il y a plusieurs personnages du texte qui vivent un crépuscule un peu particulier, ce qui est le ressort métaphorique de la nouvelle.... Le texte parle de ces gens qui, finalement, regardent le coucher de soleil en s’imposant des contraintes et qui se disent : « bon, bah maintenant, c'est fini, je voulais être danseuse étoile, mais il faut que je sois responsable, que je me marie, que j'aie une maison et un chien »... Pourquoi « il faut que »? Il n'y a pas de diktat... Si c'est une envie véritable, être danseur étoile ou fonder une famille, être père au foyer... très bien! Mais il n'y a pas d’obligation et je n’arrive pas à comprendre pourquoi les gens s’en imposent, surtout si c’est pour les regretter à 40 piges. Pour moi, s'imposer ce genre de limites, c'est un peu raccourcir sa vie avant l'heure et regarder le crépuscule. Il vaut mieux profiter de la journée.

J'ai pourtant gardé un souvenir positif de la fin de cette nouvelle!

Ça me fait très plaisir! Vraiment… Bon, je vais horrifier énormément de monde en disant ce qui va suivre mais tant pis (enfin, énormément de monde, les trois personnes qui ont lu le texte dont tu fais partie et je te remercie, d’ailleurs)... Fais pas cette tête, c'est vrai que les retours sur cette nouvelle étaient fréquemment «  j'ai bien aimé, mais c'est une horreur! »
Notamment ma mère que je salue bien bas, je vais citer l'anecdote parce que je la trouve extrêmement mignonne, qu’elle daigne me pardonner : elle m'a appelé en me disant « j'ai lu ton texte, j'ai adoré, je suis juste absolument horrifiée que ce soit mon fils qui ait écrit ça ». J'ai trouvé ça super mignon. C'est vrai qu'il y a des tas de gens qui considèrent que la fin du texte est affreuse ; sans la dévoiler, ce n'est pas vraiment le gentil conventionnel qui gagne. C’est une fin volontairement ambiguë et j’en suis effectivement assez content parce que les réactions sont très diversifiées, des lecteurs me disent que c'est affreux, ou bien qu'ils ont adoré, qu'ils comprennent, mais, quand même, tout cela n'est pas très bien ; il y a aussi des gens comme toi qui trouvent cela très positif... Mais ce ne sont quand même pas les plus courants ! Pourtant, je trouve aussi que, pour un des personnages, la fin est positive... Oui, elle se fait aux dépends d'un autre, donc, bouh, c'est mal. Mais personne n'a raison dans cette histoire, elle est là, la tragédie. Il s’agit seulement de personnes qui essaient de se débrouiller avec des choix qu'ils ont fait trop tôt, ce qui est malheureusement très courant, tout autour de nous. Pourtant, il n’y a pas urgence. C’est bon, on n’a pas rendez-vous demain au cimetière. On a le temps de se poser deux secondes et d’utiliser notre tête. On a le temps de sortir du giron familial, de s’affranchir des modèles, de réfléchir un peu, de prendre son destin en main, de décider au mieux de ses capacités.

Tu as écrit des nouvelles, tu as écrit des articles, mais tu n'as pas encore écrit de romans. Est-ce parce que tu voulais « te faire la main », parce que la nouvelle est un passage obligé pour se faire connaître, ou tout bêtement parce que t'as pas envie d'écrire un roman?

J'ai envie, très envie, c'est en projet... J'ai commencé par les nouvelles à cause du temps, déjà, je n'en ai pas forcément beaucoup avec mes activités de traduction. Après, il se trouve que j’appartiens à la « vieille école », qui affirme que la meilleure école d’écriture consiste à essayer de placer des nouvelles, c'est un excellent apprentissage. Et puis c'est une forme que j'aime beaucoup.

Pourtant, elle est difficile. Beaucoup de gens considèrent que la nouvelle se résume à un court texte, mais c'est un peu plus compliqué que cela...

Je pense que c'est très personnel, il y a des auteurs pour qui c'est très naturel et pour qui le roman est un supplice, d’autres qui sont totalement incapables d'écrire une nouvelle et qui sont plus à l'aise sur le roman, car la nouvelle leur demande quasiment autant de boulot pour un résultat moins long et moins fouillé. Bref, c’est très personnel.
Idéalement, je cherche à être à l'aise dans un maximum de formes littéraires et c’est ce que je m’efforce de travailler autant que possible. Cependant, comme je te le disais, je trouve que la nouvelle est une excellente école, c'est aussi pour ça j'ai voulu commencer par là. L'écriture est un apprentissage continuel, j'ai encore énormément à apprendre et ce sera toujours le cas, d’ailleurs... Chercher à être publié dans une revue qui publie de grands auteurs oblige à donner le meilleur de soi-même ; si on est refusé, il faut recommencer, persévérer jusqu'à percer. Et on apprend beaucoup, notamment sur l'efficacité du style.
Et puis la nouvelle, pour moi, c'est aussi un laboratoire d'expérimentation qui permet de traiter des idées un peu barrées, des idées fortes de façon très choquante et très coup de poing, ce qui est un peu moins évident dans un roman, à mon sens en tout cas.
J'ai aussi attaqué par la nouvelle parce que j'aime bien contrôler à peu près ce que je fais ; au début, je me suis rendu compte que je n'étais pas marathonien, je n'avais pas encore assez de souffle. Il m’est apparu que je n'avais pas assez de place dans mon pauvre cerveau pour dominer une intrigue entière, ne serait-ce que sur trois cents pages. Parce que j'ai besoin d'avoir les choses dans la tête, de comprendre ce que je fais, et un roman est tellement long que je n'ai pas assez de mémoire vive ! Mais je commence vaguement à saisir un tout petit peu plus de trucs et surtout à me faire suffisamment confiance pour me dire « OK, c'est bon, je ne comprends pas tout, mais je vais me le révéler au fur et à mesure de l'écriture, ça va prendre des mois ou des années, mais j'y arriverai ». Il s'agit de se jeter à l'eau et je commence à oser m'aventurer là où je n'ai pas pied.

Ton travail de traducteur a-t-il une incidence sur ton travail d'écrivain?

Ça aussi, c'est une excellente école : on croit s'exprimer à peu près correctement, on termine une traduction, on l'envoie à l'éditeur, et elle revient avec une petite note disant « c'était pas mal, mais tu as quelques corrections à faire ». On regarde et, en réalité, c'est noir de corrections. Là, on comprend qu'on a des choses à apprendre, ne serait-ce que sur sa propre langue ! C’est donc une excellente école d’efficacité et de précision. Et puis c'est un exercice d'écriture génial parce qu'on est vraiment, complètement inféodé – le traducteur n'est qu'un passeur, c'est bien ce que ça veut dire ! – à la voix de l'auteur ; donc, s’il a un style très nerveux, très trash, il faut que le français le reflète ; s’il a un style plus poétique riche en images, il faut trouver ce qui communiquera sa voix. Bien sûr, un traducteur a des affinités avec certains écrivains, mais, idéalement, il doit savoir transcrire un style nerveux comme un style plus lent et plus « ondulé », il doit se couler dans la voix de l'auteur. Traduire des gens très différents et qui ont autrement plus de métier que moi m’apprend énormément sur moi-même, sur la langue. Et puis quand on traduit, on lit le texte à un niveau qui est probablement le plus profond qui soit ; ça dépend des auteurs, s'ils sont perfectionnistes ou pas, mais on repère parfois des détails que l'auteur lui-même n'a pas vus, on s’aperçoit d’une incohérence mineure, ce genre de choses ; ça n'arrive pas souvent mais, de temps à autre, un truc est passé à l’as en VO… Lire à cette profondeur permet d'apprendre beaucoup sur la narration, ce n'est pas une analyse consciente mais il y a des éléments qui rentrent dans la tête. C’est une texture très vivante. On passe dans les coulisses, et on apprend.

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#2 2008-12-01 16:57:45

Chaperon Rouge
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Re: [M] [ITW] Lionel Davoust

j'avais vraiment beaucoup aimé la nouvelle l'Ile close et j'y repense assez souvent.
Très intéressante cette interview, elle m'a vraiment donné envie de plus découvrir l'auteur et de lire absolument regarde vers l'Ouest. Ce que vous en dîtes m'intrigue trop !! big_smile


"Life is not measured by the number of breaths we take,
but by the moments that take our breath away."

http://www.editions-lokomodo.fr/

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#3 2009-01-28 12:25:09

Chaperon Rouge
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Re: [M] [ITW] Lionel Davoust

Juste un petit mot pour dire que l'Ile close est disponible à l'écoute via les utopod.

C'est ici et c'est en deux parties: http://www.utopod.com/


"Life is not measured by the number of breaths we take,
but by the moments that take our breath away."

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