Interview Laure Eslère
Il y a peu de temps, je vous parlais de
Cavatines, premier roman passionnant de Laure Eslère, nous comptant les aventures de démons arrivés sur terre. Un roman qui pour ma part m'a beaucoup marqué tant par son style superbe que par les thématiques abordées. Pour nous l'auteure a accepter de répondre à quelques questions. Je la remercie vivement et je vous souhaite une bonne lecture.
Bonjour à vous. Je tiens tout d'abord à vous remercier d'accepter de répondre à mes questions. Vous venez de publier votre premier roman aux Éditions de L'Olibrius Céleste. Nos lecteurs vous connaissent donc encore très peu. Pourriez-vous vous présenter à eux et expliquer comment vous en êtes venus à l'écriture ? Je crois de plus que
Cavatines était à la base un scénario de bd. Pourriez vous nous dire comment l'on passe d'une écriture scénaristique à un roman ?
Bonjour. Eh bien, je suis venue à l'écriture tout naturellement, c'est-à-dire lorsque j'étais enfant. J'ai commencé à imaginer des histoires. Plutôt que de lire des contes à ma petite soeur, je lui racontais les miens. J'ai toujours été très créative, et l'écriture n'était qu'une facette de cette créativité, qui s'exprimait à travers d'autres activités. Ce n'est que vers l'âge de 18 ans que je me suis mise à considérer l'écriture avec sérieux en devenant scénariste de BD et auteur de pièces de théâtre (amateur s'entend), et ce n'est que bien plus tard, il y a environ deux ans, que je me suis tournée vers le roman, quand j'ai réalisé que c'était le format le plus simple à gérer en étant seule.
Cavatines est mon premier projet de roman abouti. C'est pour ça que je n'en reviens toujours pas qu'il plaise autant, alors que c'est mon premier essai. Mais je ne m'en plains pas.
Le passage de la BD au roman s'est fait sans encombres, et cela est dû à ma façon de travailler : je pars toujours d'une idée de départ, d'une situation, puis j'essaie de la développer et d'explorer ses implications. J'ai donc repris la situation de départ qui avait suscité la BD, et le roman à partir de là a eu sa vie propre. Je n'ai récupéré aucun texte déjà écrit (dialogues, etc.). Au final, le roman n'a plus grand-chose à voir avec la BD, à part un ou deux personnages. Pourquoi ne suis-je pas partie d'une idée neuve, me direz-vous ? Tout simplement parce que cette BD avait recueilli des retours très positifs chez les personnes à qui je l'avais fait lire. Donc j'ai préféré rester sur une idée qui avait plu, ça me donnait une certaine confiance pour le projet.
Cavatines nous raconte donc la vie de démons sur notre terre. Vie bien tumultueuse au demeurant... En lisant votre roman, j'ai été profondément marqué par vos descriptions des enfers. Elles sont à la fois simples et détaillés. J'imagine le travail que cela a dû être ! Comment avez-vous procédé pour créer ce monde ? Vous êtes-vous inspirée de gravures, de films ou bien d'autres livres ?
J'ai des références, comme l'Enfer de Dante ou l'enfer de la mythologie grecque, mais je ne peux pas dire que je m'en sois inspirée puisqu'à ma connaissance, il n'existe pas d'enfer similaire au mien dans la littérature ou le cinéma.
En fait, c'est l'envie de créer un monde radicalement différent de l'idée que l'on se fait de l'enfer qui m'a inspirée. C'est pour ça que je l'ai situé au ciel, pour commencer. Ensuite, je ne voyais pas l'intérêt de présenter un enfer sombre, horrible, effroyable. J'ai donc imaginé un enfer magnifique, merveilleux, plus féérique qu'effrayant. La fantasy pour le coup m'a aidée, mais là encore, il n'y a pas d'oeuvre en particulier que je puisse citer, ce sont des images qui me sont venues sans que je les cherche.
Pour moi, un auteur est là pour donner sa vision du monde, sa conception d'une créature ou d'un lieu, pas pour reproduire les lieux communs, sinon il n'apporte rien... J'ai eu la même démarche pour la création de mes démons.
L'histoire de
Cavatines avance un peu comme celle du "Dracula" de Bram Stoker. Il se mélange au fil des pages : coupures de presses, lettres, journaux intimes et même une partie "interactive". Comment, en tant qu'auteur, arrive-t-on à gérer ces changements brusques, comment arrive-t-on à maintenir une cohérence qui formera l'histoire ?
Bonne question. Je crois que je n'intellectualise pas tant le processus que ça donc il va m'être difficile de répondre précisément à cette question. Mais disons que j'ai une trame, composée des différents chapitres. Pour chaque entrée, je mets le contenu du chapitre, à savoir quels événements doivent se dérouler, quel personnage doit entrer en action, etc. Cela me permet d'avoir une vision d'ensemble de l'histoire et des différentes scènes. Ensuite, il y a tout un travail de recoupement, de mises en relation. Il faut bien travailler la situation de départ et les personnages, car tout découle de là (la cohérence, l'enchaînement des événements...).
Une dernière chose que je voudrais signaler au sujet du genre épistolaire : là aussi, j'ai voulu me démarquer un peu de ce qui se fait. Par exemple, certaines lettres ne sont pas envoyées, seul le lecteur en a connaissance. C'est une sorte de pied de nez au genre. Je trouve que ces épîtres non reçues apportent une autre dimension à la chose.
On vous a comparé à Anne Rice... je ne suis pas forcement d'accord. Comment réagissez vous face à cela ? Vous reconnaissez vous dans la littérature d'Anne Rice ? Et quel rapport entretenez-vous avec la littérature fantastique, car j'ai cru comprendre que vos références se situaient ailleurs ?
Oui, c'est une comparaison facile et un peu réductrice, mais pas complètement fausse dans le sens où effectivement mon approche des personnages (psychologie, traitement) ressemble à la sienne, car mes démons sont très "humains". Mais selon moi, ça s'arrête là. Je pense apporter quelque chose de différent au-delà de ça. Elle a ouvert la voie à un certain type de romans fantastiques, à une certaine vision des vampires, et rien que pour ça, elle a un grand mérite, mais je n'ai pas tout à fait la même démarche littéraire qu'elle. Si j'osais, je me reconnaîtrais plus dans la démarche des auteurs du XIXe siècle : ceux qui écrivaient aussi bien de la littérature générale que de la littérature fantastique, et ce, sans honte. Les Maupassant, les Dumas... Je ne prétends pas écrire comme eux mais j'aspire à la même diversité de genres. Je n'approuve pas du tout le clivage actuel entre la littérature blanche et le fantastique. Selon moi, on y perd plus qu'on y gagne.
Cela me permet de faire le lien avec la dernière question : en effet, mes influences se situent plus dans la littérature générale dite "classique" que fantastique, car j'ai grandi avec cette littérature-là, c'est elle qui m'a nourrie. Je n'ai découvert l'imaginaire que fort tard. Mais justement, quand je ne lisais que de la littérature générale, je n'arrivais pas à trouver mon style (d'où peut-être mon incursion dans la BD). Ce n'est que lorsque j'ai découvert Stoker et tous ces autres que j'ai eu le déclic et que je me suis dit que mon style était peut-être là. Je peux donc dire que mes influences sont multiples. Même si Le Horla de Maupassant a été une référence plus directe, aurais-je écrit
Cavatines si je n'avais jamais lu Bram Stoker ou même Anne Rice ?
En résumé, c'est la littérature générale qui m'a poussée à écrire, et dans laquelle je puise la majorité de mes classiques, mais c'est la découverte du fantastique (en particulier le fantastique du XIXe) qui a rendu évident ce que j'aspirais à faire depuis longtemps sans le savoir.
Je vois votre roman comme une quête des origines. Bien sûr,
Cavatines parle de démons, mais en prenant comme personnages principaux des êtres démoniaques, n'est ce pas là une habile façon de questionner le genre humain en passant outre l'éducation, la morale, la religion ou tout autre sentiment typiquement humain ?
Vous avez tout compris... A travers cette quête identitaire qu'ont mes personnages (suis-je un être humain ? Suis-je un démon ? Qu'est-ce être un démon ?), j'interroge et explore de nombreux thèmes. Le thème de la différence, par exemple. Mes personnages sont dans l'inconscient collectif des monstres, puisque démons. Et pourtant je montre leur "humanité", leurs faiblesses, leurs failles (d'où le format épistolaire qui me semblait adapté à cette approche psychologique). Quant aux êtres humains du récit, certains s'avèrent bien diaboliques, et plus monstrueux que les "monstres" eux-mêmes.
Pourquoi une telle démarche ? Tout simplement parce que je ne supporte pas les étiquettes, les catégories, qui enferment les choses et les gens. Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi d'explorer le mythe des démons plutôt que des anges ou des vampires, qui sont bien plus populaires. Je trouvais plus intéressant de "dépoussiérer" des créatures peu appréciées.
On pourrait aussi parler du thème de la mixité, du métissage, à travers le personnage de Médel. Et bien sûr, comme vous le signalez, la religion, le morale, ou encore l'amour, l'amitié.
Sans vouloir dévoiler la surprise qui attend le lecteur au milieu du livre (j'ai pour ma part été complètement bluffé !) j'ai l'impression qu'en plus de connaître parfaitement vos classiques, vous connaissez bien l'univers du jeu de rôle ? Mais peut-être que je me trompe...
Eh bien, bizarrement, pas tant que ça. J'en ai fait un peu dans le temps, mais vraiment en dilettante. Je peux dire que j'ai vraiment utilisé mon imagination pure pour cet intermède... et quelques souvenirs d'enfance.
A noter que j'ai pris un énorme risque avec cette "surprise", mais ça fait partie de ma démarche. Au-delà de mes influences littéraires, j'ai une culture alternative forte qui explique mon goût pour le décalage, la subversion, la controverse, l'autodérision... Cet intermède, c'est un peu mon côté rock n'roll ! (dans l'esprit)
Je suppose que vous devez avoir des projets futurs, un nouveau roman sur lequel vous travaillez actuellement ? J'ai l'impression que
Cavatines pourrait presque même avoir une suite ?
Oui, je travaille actuellement sur un voire deux romans. Quant à
Cavatines, plusieurs personnes m'ont invitée à écrire une suite, et c'est quelque chose que je garde en projet. Je serais ravie de pouvoir continuer à explorer cet univers et ces personnages. Cependant il y a le risque de se répéter et de ne pas se renouveler. Je n'aimerais pas faire comme ces auteurs qui écrivent toujours la même chose. S'il y a une suite, je veillerai donc à éviter les redites. On verra...
Je vous remercie d'avoir répondu à mes questions et je vous laisse le mot de la fin !!
C'est moi qui vous remercie. Le mot de la fin ? Achetez mon livre (rires).^^ Non, plus sérieusement, c'est très agréable pour moi de voir des personnes réceptives à mon univers et à ma démarche.
Cavatines plaît à beaucoup de lecteurs, mais je compte les surprendre davantage avec mes prochains livres. Je ne veux pas m'arrêter là, et encore moins me reposer sur mes lauriers et mes acquis.
Interview réalisée par Le Cimmerien